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colonel Fryer, étaient d’avis qu’en dépit de la pauvreté du budget de Birmanie, il fallait sans retard commencer la construction de voies ferrées. Avec sir Herbert Mac-Pherson, qui venait de mourir dans ce pays qu’il connaissait si bien, ils estimaient que « chaque ligne de chemin de fer que l’on ouvrirait en Birmanie serait plus efficace qu’un corps d’armée, » et serait à la fois une cause de richesse, un instrument stratégique, un agent de pacification.

« L’ouverture d’un chemin de fer à Mandalay, — prolongation en Haute-Birmanie de la ligne de Rangoon à Toungoo, — cette ouverture, disait un document du milieu de 1886, aurait des résultats importans, et pour la Birmanie et pour les États shans. En Haute-Birmanie, un grand nombre de personnes se refusent à croire que réellement les Anglais ont conquis leur patrie et occupent Mandalay ; un grand nombre d’autres ne peuvent admettre que nous entendions rester dans le pays et le gouverner au nom de la reine-impératrice. Sur ces doutes et ces imaginations, l’effet de l’ouverture d’un chemin de fer d’État serait décisif. D’autre part, le travail et les salaires que procureraient les travaux auraient une heureuse influence sur la pacification du pays et concilieraient la population au gouvernement anglais. Dans la région que la ligne doit traverser, les villages ont été pillés par les dacoits et les rebelles ; les paysans ont été bouleversés par l’anarchie de l’année dernière. Quand nous aurons, dans ces régions, sur une longueur considérable, ouvert, gardé et efficacement protégé la ligne de chemin de fer, l’effet immédiat en sera très grand sur la population : on lui aura fourni du travail pendant la saison morte, on lui aura fait gagner de l’argent[1] ; enfin, on lui aura donné une preuve matérielle de l’intérêt que le gouvernement anglais porte à son pays. Naturellement, ces effets de la construction du chemin de fer ne seront que temporaires, mais ils se produiront précisément au moment le plus désirable ; car notre objectif, à l’heure présente, est d’amener ces populations à se soumettre, d’offrir un aliment à leur énergie, de leur procurer de quoi nourrir leur famille en s’adonnant à des travaux pacifiques. Après ces effets, d’ailleurs, le chemin de fer en aura sur cette population de plus durables : il l’amènera à aller et à venir, à se faire une idée de la puissance des Anglais, de leur système de gouvernement, de leur souci du bien-être des populations, et à consentir peu à peu à devenir les sujets de sa gracieuse majesté.

  1. L’année 1891 a vu se produire une de ces famines qui désolent la Haute-Birmanie. Les deux tiers de la population étaient sans ressources. Le gouvernement distribua des secours en nature, décida d’urgence la construction d’une ligne de Myingan à Meiktila, la réparation de certaines digues rompues, enfin offrit du travail à plus de 20,000 personnes.