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ferrées. Enfin, on songeait encore à d’autres lignes, d’un intérêt commercial ou politique : telles les lignes qui devaient rejoindre Mandalay à la Salouen ; la Birmanie à l’Assam (station de Makum), et, par-delà, au Brahmapoutra (station de Sudiya).

De pareils résultats ne pouvaient que hâter l’exécution des autres entreprises que l’on méditait, et l’on en méditait de considérables.


V

La conquête et la mise en valeur de la Birmanie ne sont pas, en effet, le terme de l’ambition des Anglais. La Birmanie n’est pas seulement, si l’on peut s’exprimer ainsi, un point d’arrivée ; elle est aussi un lieu de passage. Elle touche à l’Inde et à la Chine ; elle garde les approches de la première et semble être une des avenues de la seconde ; et lorsque les Anglais l’eurent conquise, ils crurent avoir effectivement donné à l’Inde un nouveau rempart et gagné une des portes de la Chine[1] : restait seulement à ouvrir cette porte.

La Chine, depuis plus d’un demi-siècle, est, en extrême Orient, l’un des objectifs des grandes puissances. Sans doute, aucune d’elles ne menace aujourd’hui l’intégrité de son territoire ; mais toutes ambitionnent de prendre une part de son commerce et de mettre en valeur les immenses ressources naturelles qu’elle garde inexploitées. Elles s’efforcent donc d’obtenir pour leurs ingénieurs et leurs industriels l’entrée de son territoire, comme elles ont déjà obtenu pour leurs commerçans l’entrée de beaucoup de ses ports. Elles prétendent renouveler son outillage et ses méthodes, et peu à peu l’entraîner avec elles dans les voies de la civilisation occidentale ; et, bien que la Chine, satisfaite d’elle-même, soit défiante d’autrui, — persuadée qu’elle est, avec raison, que ce contact de l’Occident lui sera fatal, — il y a longtemps assurément qu’elles y seraient parvenues, si, dans ces trente dernières années, elles ne s’étaient départies de la politique séculaire qui leur avait si bien réussi.

Pendant les siècles qui ont précédé le nôtre et jusqu’aux environs de 1860, les Européens, quelles que fussent en Europe leurs inimitiés, avaient toujours, en face de la Chine, affecté la plus étroite union. Une nation européenne rencontrait-elle quelque difficulté, réclamait-elle quelque réparation : son grief ou sa

  1. « Je ferai observer, écrivait Yule en 1857, que les missionnaires du Yunnan reçoivent leurs fonds par la voie d’Amarapoura. » — (Op. cit., p. 145.) Toutefois, depuis cette époque, ces envois d’argent étaient faits, pour le Szuchuen certainement, et probablement aussi pour le Yunnan, par la voie du Yang-Tse-Kiang. (Voir Seize années en Chine, lettres du P. Clere (Paris, 1887 ; Haton.)