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de l’empire et n’émanent que de l’initiative privée. De ces dernières, en effet, il y a eu une véritable débauche. Bien avant que la Haute-Birmanie fût annexée, des explorateurs, des ingénieurs, d’anciens fonctionnaires de l’Inde, véritables commis-voyageurs en chemin de fer, lançaient toutes les semaines en Angleterre et en extrême Orient, le projet d’une nouvelle ligne, laquelle, à moins de Irais que toutes les autres, mettait la Chine toujours et quelquefois le Siam avec elle, littéralement dans la main de l’Angleterre. Elles partaient de Bangoon ou de Maulmein, ou de Mandalay ; elles passaient par Tali-Fu ou par Ssumao et aboutissaient à Bangkok, à Canton, à Yunnan-fu, à Nanking, etc. Leur objectif était de détourner vers la Birmanie le trafic qui jusqu’alors prenait la route du Mékong, du Fleuve-Rouge, de la rivière de Canton et surtout du Yang-Tse-Kiang ; et, dans les exposés magnifiques qu’on faisait de leurs chances, invariablement cet objectif était atteint.

La plus célèbre, peut-être, de ces lignes fut la ligne de Maulmein à Chung-King, sur le Yang-Tse-Kiang. Comme ce fleuve a un cours extrêmement violent, qu’à la montée la navigation en est fort lente et fort coûteuse, on se flattait, — on se flatte encore, — que le commerce d’importation de l’Europe avec l’intérieur de la Chine, l’abandonnerait pour prendre la voie ferrée, partant de Birmanie et aboutissant à Chunking. La descente, au contraire, quoique périlleuse, est rapide et relativement peu coûteuse ; il est donc vraisemblable que toutes les provinces baignées par le fleuve continueraient, même après l’ouverture du chemin de fer, à l’utiliser pour transporter leurs produits vers la côte orientale et, de là, vers l’Europe. Cette répartition probable du trafic laisserait encore une part magnifique à la ligne birmano-chinoise.

Mais il est douteux que les choses aillent ainsi au gré de ses promoteurs. Ne parlons même pas des difficultés d’exécution et des dépenses énormes qu’elles entraîneraient. La conception tout entière repose sur deux hypothèses ; la première est que la Chine autorisera sur son territoire la construction d’un chemin de fer ; la seconde est qu’au moins pendant longtemps elle n’autorisera la construction que d’un seul. Or, l’une et l’autre hypothèse prêtent à discussion.

Que la Chine consente à l’établissement d’une voie ferrée, cela n’est pas impossible ; cela non plus n’est peut-être pas très prochain. L’exemple de la petite ligne de Woosung à Shanghaï, détruite aussitôt que construite et transportée à Formose, où la mer use pièce par pièce le matériel entassé, cet exemple récent n’est pas engageant. En sens contraire, on peut invoquer l’exemple de la ligne, fort courte d’ailleurs, qui relie Tien-Tsin aux mines de charbon de Kaï-Ping et que jusqu’ici rien ne menace ; mais celle-ci, des