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mais dans la paix, toujours entraînées et jamais ou rarement utilisées, entourées de confort et de prestige ; les réserver pour des éventualités suprêmes ; ne pas les montrer, à peine les laisser voir, comme un épouvantail mystérieux, et, pour employer l’expression anglaise, comme de superbes et terribles animals of war.

Ces dispositions nous feront redouter des indigènes ; mais cela ne suffit pas : il nous faut nous en faire connaître, apprécier, je n’ose pas dire aimer.

5° Pour cela, à tout ce qu’ils possèdent, fruit des civilisations d’Orient, ajoutons ce que donnent nos civilisations d’Occident : instruisons-les, outillons-les, enrichissons-les.

A. — L’éducation, surtout près de peuples qui ont le culte de la science et le respect des savans, est un admirable instrument d’influence. Il ne s’agit que de savoir s’en servir. Les Anglais, en Birmanie, en ont à peine essayé. Leur abstention est de la timidité. Leurs expériences, aux Indes, ont assez mal réussi et ont accrédité cette opinion, qui a des défenseurs considérables, qu’instruire les indigènes, c’est préparer des chefs à ses ennemis. Cette opinion est fondée sur de fausses apparences. Les Anglais, aux Indes, ont commis une faute. Ils ont prétendu, — fidèles à leurs traditions, — s’appuyer, pour gouverner les peuples, sur une élite indigène. Dans ce dessein, ils ont, à grands frais, institué pour cette élite l’enseignement supérieur, et, pendant longtemps, négligé l’enseignement primaire. Grâce à cela, les lauréats des facultés ont fait à leurs compatriotes, systématiquement tenus dans l’ignorance, reflet de demi-dieux et acquis un prestige qui eût pu devenir dangereux. Pour le combattre, les Anglais commencent à répandre l’enseignement primaire. Et déjà ils en sentent le salutaire effet. Là est la solution. Instituons au Tonkin des écoles nombreuses et ouvrons-les largement au peuple. Que cet enseignement soit, — autre faute à éviter, — le complément, non le rival de l’enseignement annamite. Ne prétendons pas ôter à ces disciples des Chinois l’instrument qui leur permet de communiquer avec le monde chinois. Ne leur fermons pas ce monde pour les faire entrer dans le nôtre. Ne leur offrons même pas le choix entre deux instrumens, laissons-les leur tous les deux.

B. — L’outillage, un outillage perfectionné, qui légitime notre intervention, voilà, en effet, ce qu’il faut à ces curieux et à ces agissans. L’outillage matériel, comme l’outillage intellectuel : ils sauront à merveille l’utiliser. Voyez plutôt le succès de nos messageries maritimes et fluviales. Des ports bien aménagés, des canaux bien conçus et bien entretenus, des routes, des chemins de fer, un bon service postal et télégraphique, voilà les meilleurs instrumens de domination et de richesse.

C. — La prospérité de toute colonie naissante, surtout de celle-ci,