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que les croyans de toutes les confessions, unis aux véritables libéraux, rejetèrent le 26 novembre 1874, par 318,139 voix contre 172,010, l’arrêté soumis à la sanction populaire. Enfin cette même démocratie, en repoussant le 6 décembre 1891 l’achat des actions du chemin de fer central par la confédération, aurait eu, chose à peine croyable ! assez de finesse pour éviter les pièges (tendus par une légion de financiers habiles) auxquels la représentation nationale elle-même avait été prise, et mérité par là même l’admiration de tous les contribuables, abstraction faite de leur nationalité. Nous ne prétendons pas qu’il faille transplanter étourdiment les institutions d’un pays dans un autre ni par conséquent que l’exemple des Suisses soit décisif : nous nous bornons à soutenir qu’il n’a rien de décourageant. « L’innovation, » ces précédens étant donnés, ne saurait être condamnée d’avance, et le referendum a d’assez bons états de services, hors de la Belgique, pour n’être pas écarté dédaigneusement, en Belgique, par la question préalable.

Il s’agit bien de l’Amérique ou de la Suisse ! a-t-on répondu : c’est autre part que les partisans du referendum vont chercher leur modèle. Ils transforment la monarchie belge en monarchie plébiscitaire, et les Français ont peu de mémoire s’ils ne se rappellent pas ce que le régime plébiscitaire leur a coûté. Nous ne croyons pas, pour notre compte, que la France ait oublié les grandes et terribles leçons de l’année 1870. Cette objection nous paraît être la plus grave de celles qu’on adresse au projet du gouvernement belge, et nous allons l’examiner avec toute l’impartialité possible. Mais il faut avant tout ne pas se payer de mots : qu’est-ce, au juste, que le plébiscite ?

Plebiscitum est, disaient les jurisconsultes romains, quod plebs jubet atque constituit. Il n’entre pas dans notre plan d’expliquer en quoi les plébiscita dîneraient, à Rome, des leges ni d’exposer le mécanisme des lois Valeria Horatia, Publilia, Hortensia, qui ont successivement organisé le régime des plébiscites. Il nous suffira de dire que le plébiscite, voté dans les comices par tribus, était, dans la république romaine, le mode de votation le plus démocratique, par cela seul que, dans chaque tribu, les suffrages se comptaient par têtes, sans distinction entre les riches et les pauvres, entre les seniores et les juniores, entre les patriciens et les plébéiens ; enfin que, dans le dernier état de la législation, le plébiscite pouvait être, en général, soumis aux tribus sans l’autorisation du sénat. Le plébiscite, c’est-à-dire l’injonction du suffrage populaire (quod plebs jubet), devint donc, au même titre que la loi proprement dite, une des sources du droit. C’est bien un plébiscite permanent qu’organisa l’inexécutable constitution française du