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La Belgique a, selon nous, un intérêt à ne pas détruire cet équilibre, qui est son œuvre et résume en quelque sorte les soixante années de son histoire. Or on ne saurait trop le redire, la transformation complète des conditions requises pour l’électorat politique, la suppression du suffrage censitaire, vont modifier de fond en comble la situation respective des trois grands facteurs qui concourent à l’exercice de la puissance législative : la couronne, le sénat, la chambre des représentans. Pour le nier, il faudrait nier l’évidence. C’est d’abord une vérité générale de l’ordre expérimental, et le chef de l’école doctrinaire l’avait proclamée dès 1816 à la tribune française[1]. L’histoire de notre troisième république achève la démonstration ; l’énorme prépondérance, nous allions dire l’omnipotence de la chambre nommée par le plus grand nombre possible d’électeurs et le rôle effacé du sénat dessilleraient, au besoin, les yeux des aveugles. Mais il en sera particulièrement ainsi, ce nous semble, en Belgique, où, jusqu’à ce jour, s’il fallait, pour participer aux élections politiques, payer un cens de 42 fr. 32, il suffisait de verser au trésor de l’État, pour être électeur provincial, 20 francs ; pour être électeur communal, 10 francs de contributions directes. Ainsi que l’a très bien expliqué M. Dupriez, les manifestations de corps électoraux plus étendus pouvaient contre-balancer jusqu’à un certain point l’autorité d’une chambre nommée par un corps électoral très restreint et faciliter par là même l’action du pouvoir royal. Si l’on veut encore régler et tempérer les puissances l’une par l’autre, il faut maintenir les proportions et, pour les maintenir, tenter une combinaison quelque peu différente ; il faut, en face d’une chambre agrandie, qui représente des volontés mobiles, faire au roi, qui représente les intérêts permanens, une place nouvelle dans le nouvel ordre de choses.

Quelle serait donc désormais sa fonction ? Nous sommes les premiers à reconnaître que l’abus du referendum serait un mal et qu’il y aurait le plus grand inconvénient à mettre continuellement les commettans en face des élus. Non-seulement on fausserait par là le mécanisme du gouvernement représentatif, mais on finirait par emprunter à la constitution française de 1793 sa plus absurde conception. Nul n’y songe, et le gouvernement est allé jusqu’à dire, par l’organe de M. Beernaert, « qu’il s’agirait aux mains de la royauté d’une arme surtout préventive. » L’intervention directe du corps

  1. « La confiance dont la chambre élective est investie sera d’autant plus étendue que le nombre de ceux qui la lui auront donnée sera plus considérable. Il n’est donc pas indifférent que le nombre des électeurs des députés soit plus grand ou moindre, puisque l’autorité morale de la chambre et son aptitude aux fonctions constitutionnelles croissent et décroissent dans la même proportion. »