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pas voulu la comprendre. Lui-même, Napoléon, n’a pu donner à son œuvre scolaire que des bribes de son attention, ses haltes entre deux campagnes[1] ; en son absence, « on lui gâtait ses plus belles idées ; » ses exécutans « n’exécutaient jamais bien ses intentions. » Il grondait, et ils « se courbaient sous l’orage, mais ils n’en continuaient pas moins leur train accoutumé. » Fourcroy se souvenait trop de la révolution, et Fontanes de l’ancien régime ; le premier était trop homme de science, et le second trop homme de lettres ; en cette qualité, ils tenaient trop à la culture de l’esprit, et trop peu à la discipline du cœur. Dans l’éducation, la littérature et la science sont choses « secondaires ; » l’essentiel est le dressage, un dressage précoce, méthodique, prolongé, irrésistible, qui, par la convergence de tous les moyens, leçons, exemples et pratiques, inculque « les principes » et imprime à demeure dans les jeunes âmes « la doctrine nationale, » sorte de catéchisme social et politique, dont le premier article commande la docilité fanatique, le dévoûment passionné, et la totale donation de soi-même à l’Empereur[2].


H. TAINE.

  1. Pelet de la Lozère, ibid., 154, 157, 159.
  2. Mémorial, 17 Juin 1816. Cette conception de l’Université par Napoléon fait corps avec une autre, plus vaste, qu’il expose dans le même entretien, et qui montre nettement son plan d’ensemble. Il voulait « le classement militaire de la nation, » c’est-à-dire cinq conscriptions successives et superposées : la première, celle des enfans et adolescens au moyen de l’Université ; la seconde, celle des conscrits ordinaires, annuelle et opérée par le tirage au sort ; la troisième, la quatrième et la cinquième fournies par les trois bans de la garde nationale, le premier ban comprenant les jeunes gens célibataires et tenus d’aller jusqu’à la frontière, le deuxième ban comprenant les hommes d’âge mitoyen, mariés et ne devant servir que dans le département, le dernier ban comprenant les hommes âgés et ne devant être employés qu’à la défense des villes : en tout, par ces trois bans, deux millions d’hommes classés, encadrés, armés, chacun d’eux ayant son poste assigné en cas d’invasion. « En 1810 ou 1811, il fut lu au conseil d’État jusqu’à quinze ou vingt rédactions » de ce projet ; « l’empereur, qui y tenait beaucoup, y revient souvent. » — On voit la place de l’Université dans son édifice : de dix à soixante ans, sa conscription universelle devait saisir d’abord les enfans, puis les adultes, et, avec les gens valides, les demi-invalides, par exemple Cambacérès, l’archichancelier, gros, impotent et, de tous les hommes, le moins militaire. « Il faut, dit Napoléon, que M. Cambacérès, que voilà, soit dans le cas de prendre son fusil, si le danger le requiert… Alors vous aurez une nation maçonnée à chaux et à sable, capable de défier les siècles et les hommes. » — Répugnance constante de tout le conseil d’État, « défaveur marquée, opposition sourde et inerte… Chacun frémissait de se voir classé, transporté au dehors, » et, sous prétexte de défense intérieure, appliqué aux guerres extérieures. « L’empereur, attiré par d’autres objets, vit s’échapper ce plan. »