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liée à cette forme. Un corps peut être vivant et n’avoir pas de configuration définie. Et dès lors un problème se pose : un liquide, une humeur du corps, peuvent-ils être vivans ? Le sang est-il vivant comme la substance des nerfs ou la chair des muscles ? Question profonde et qui n’est pas encore résolue. Voilà longtemps en tout cas que la science a été conduite à chercher ailleurs que dans la forme la caractéristique de la vie.

Les aristotéliciens voyaient, dans ce que nous appelons la vie, un mouvement ; ils donnent d’ailleurs ce nom à toute altération ou changement d’état des corps naturels aussi bien qu’à leur translation proprement dite dans l’espace. Le traité aristotélique de l’Ame caractérise la vie par ces trois faits : « se nourrir par soi-même, se développer et périr. » La croissance et le dépérissement sont des altérations, par conséquent des mouvemens ; et comme on les voit toujours intimement unis à l’alimentation de la plante aussi bien que de l’animal, c’est l’acte de se nourrir qu’on retrouve en définitive à la base du mouvement qui est la vie. De la philosophie grecque les mêmes idées passent dans la Somme de. Thomas d’Aquin, qui voit aussi dans la vie ce même u mouvement » spécial auquel ne participent point les corps inertes. D’ailleurs, pendant la croissance, appelée d’un nom si juste « développement » quand il s’agit des êtres vivans, ne voyons-nous pas les parties dont ils sont composés se déplacer les unes par rapport aux autres ? N’avons-nous pas là une distinction nette, absolue, avec l’accroissement des corps minéraux ? La formule célèbre de Linné dans sa caractéristique des trois règnes : « les minéraux grandissent, les végétaux grandissent et vivent… » est ici en arrière sur la Somme de saint Thomas, puisqu’elle semble consacrer une assimilation fausse dans la mode de croissance des végétaux et des minéraux.

Il est, à la vérité, certaines parties chez les animaux qui grandissent ainsi par une simple accession constante de parties nouvelles surajoutées : telle la coquille des mollusques, même alors qu’elle est enfermée sous les chairs comme l’os de la seiche. Mais précisément ces formations, bien que dérivées de l’organisme, ne sont pas elles-mêmes vivantes. Elles portent, si l’on peut dire, l’empreinte et le cachet de la vie au point qu’on les reconnaît pour en être un produit, mais rien de plus. Et si elles grandissent, c’est justement à la façon des cristaux.

Thomas d’Aquin, en suivant Aristote, avait donné de la vie la définition la plus exacte qu’on pût invoquer dans l’état des connaissances de son temps. Elle est encore presque satisfaisante pour le nôtre. Nous aussi nous définissons la vie dans les mêmes termes. La vie est un mouvement, mais non pas toutefois un de ces mouvemens apparens, bien qu’intimes, auxquels fait allusion