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espèce chimique nouvelle qui n’existerait pas dans la nature plus que la forme à laquelle elle est liée, si l’homme n’avait passé par là.

Le petit-Bouschet est un cépage du Midi, qui a été créé de 1840 à 1850, par M. Bouschet-Bernard, habile viticulteur de Montpellier. Il résulte du semis de graines obtenues en faisant agir le pollen de l’aramon sur les ovules du teinturier, dont les fleurs ont été préalablement privées de leurs étamines. Le petit-Bouschet se trouve ainsi descendre par filiation régulière des deux cépages méridionaux les plus dissemblables au point de vue de leurs formes végétales, de l’époque de leur floraison, de la qualité de leurs fruits, de la nature de leurs vins respectifs. La coloration des grains du petit-Bouschet est à peu près intermédiaire à celles du teinturier et de l’aramon, mais M. Gautier a démontré par de minutieuses recherches que cet effet ne tenait en aucune façon à une sorte de mélange qui se serait effectué chez le cépage hybride des deux matières colorantes provenant de l’une et l’autre souches. Il n’en est point ainsi. Le principe colorant du petit-Bouschet est en réalité une espèce chimique nouvelle, intermédiaire par sa composition moléculaire aux matières colorantes de l’aramon et du teinturier, mais aussi différente d’elles chimiquement que celles-ci sont elles-mêmes distinctes.

L’homme ne fait donc pas seulement des formes nouvelles en créant les hybrides : il jette dans la nature des principes chimiques qui n’y avaient point leur place.


V

On ne peut guère douter qu’il soit possible de réaliser chez certaines espèces animales les merveilleux changemens que la pratique a su imprimer aux végétaux de nos champs et de nos jardins. Et, sans doute, en privant un animal de quelqu’un des principes minéraux qui entrent dans la composition de ses tissus, on modifierait profondément ses formes extérieures. Il ne paraît pas que beaucoup d’expériences aient été tentées dans cette direction. En général, celui qui veut modifier une race de bétail s’applique surtout à combiner en vue du but qu’il se propose les accidens survenus dans le troupeau. Il mariera les béliers et les brebis qui ont la plus belle laine pour obtenir en vertu des lois de l’hérédité la qualité qu’il recherche. Mais on peut admettre qu’il doit exister des moyens, — à la vérité encore inconnus, — qui conduiraient directement au même résultat, simplement en modifiant la qualité ou la proportion de certains composés chimiques qui entrent dans la constitution du corps de l’animal. C’est un changement survenu dans la composition chimique intime de l’être qui seul a pu produire