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rêvant de Jupiter et de Diane, vous les enviez la première ; mais il n’est pas en votre pouvoir de partager leur quiétude. L’esprit une fois éveillé par le doute ne se reprend plus à ce beau rêve des dieux. Nos pères n’ont pas eu tort de les adorer ; ils ont vécu, ces dieux, puisqu’il nous reste d’eux des marbres immortels ; ils ne vivent plus, puisqu’ils ne peuvent plus nous consoler et nous faire croire.

Ah ! ce sont choses étranges, notre temps et le monde tel qu’on nous l’a fait ! Jadis la terre portait des peuples divers, jaloux de leur unité, repliés sur eux-mêmes, continuant à travers les siècles une œuvre définie. La forte main de Rome a pétri ces peuples, comme le sculpteur pétrit la glaise pour en former la statue ; gens de toute race et de tout pays, de tout culte et de toute langue, Rome nous a mêlés dans son empire pour on ne sait quelle œuvre mystérieuse. Les grandes cités des trois mondes, Rome, Alexandrie, Corinthe, Éphèse, ne sont plus que des carrefours où s’assemblent et se heurtent le Grec, l’Africain, le Gaulois, l’Iduméen, le Scythe, le Perse. À ce contact répété, les diversités s’effacent, les langues se pénètrent, les traditions se communiquent, les esprits se fondent au même moule ; d’un pôle à l’autre, un seul peuple se crée, prêt à écouter une seule voix, à marcher vers un seul but. — Vers lequel, je le sais maintenant.

Ce peuple est fait de matières viles et d’élémens subtils, de trafiquans et de rhéteurs, d’affranchis et de grammairiens, de soldats et de pontifes. Il jouit de la vie, riche et heureux en apparence, au cœur du monde, sur tous les gracieux rivages de la mer intérieure ; il se rue au temple de la Vénus Pandémos, au marché où les navires déchargent les trésors des contrées fabuleuses ; les intérêts, le plus solide lien de la pauvre humanité, circulent et préparent la voie aux doctrines. Le denier qui passe de main en main, du Juif au Grec, du Grec au Latin, leur laisse à tous une empreinte commune. De cette foule composite monte un bruit sourd d’idées remuées, le bourdonnement de vie qui emplit l’air au printemps, quand la nature refait la terre. Partout des chaires, des disputes, des recherches passionnées, d’audacieux efforts et d’immenses lassitudes de pensée ; partout des âmes en suspens entre le passé et l’avenir. L’avenir ! les moins perspicaces devinent qu’il apporte un secret pour remplacer ceux du passé. Oui, le monde est travaillé d’un secret. L’Egypte demande le mot à son sphinx, la Grèce à ses oracles, l’Orient à la kabbale, Rome aux livres de la sybille ; tout le jour, dans Éphèse, vos amis sont penchés sur les formules magiques, sur les grammates des devins. Parfois, on entend un grand cri : un voyant a eu l’éblouissement