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les servitudes du contrôle, s’exposer aux innombrables piqûres par où se dégonfle la popularité d’un gouvernement, introduire dans la place des rivaux, peut-être des maîtres. La vision funeste du jour où il faudrait partager avec ces tard-venus le butin, les vivres, et même céder tout, a apparu à tous ceux qui, grands ou petits, possèdent une part d’influence, d’autorité, de budget, vivent de la France. Et il ne s’agissait pas seulement d’égoïsmes, mais de doctrines. S’il y a dans le parti républicain un sentiment impérieux, c’est la haine religieuse ; un désir inassouvi, c’est le besoin de renouveler sans cesse les inquiétudes et les vexations des catholiques ; un dessein suivi avec habileté et obstination, c’est le projet de mettre l’Église hors l’État, hors la société, hors la loi. Espérer que de tels hommes cesseraient la guerre religieuse, c’était attendre qu’ils renonceraient à la pensée maîtresse de leur politique, à la joie suprême de leur autorité, qu’ils cesseraient d’être eux-mêmes.

L’apaisement rêvé par les monarchistes, leur confiance dans l’hospitalité généreuse du vainqueur, leur résignation à n’obtenir, eux catholiques, en France que des places de sûreté comme jadis les protestans, étaient donc des chimères. Les conservateurs n’avaient cessé de s’abuser sur la monarchie que pour s’abuser sur la république.

Les maîtres du gouvernement ne changeront pas : il faut ou les supporter tels qu’ils sont ou leur enlever l’autorité.

Conservateurs, ce n’est pas immobiles et supplians que vous apaiserez par votre patience les haines de vos adversaires, et vous attendriez en vain pour aborder à la rive prochaine que le fleuve des injustices cesse de couler. Si modérés que soient vos ambitions, si justes que soient vos désirs, ne comptez pour les réaliser sur personne, sinon sur vous-mêmes ; nul que vous ne fera votre œuvre, et vous ne l’accomplirez qu’à la place où la volonté se change en loi ; vous n’avez qu’un asile, le pouvoir. Puis donc que vous vivez en un temps où, pour être libres, il faut être maîtres, et détruire pour n’être pas détruits, devenez ambitieux par devoir, marchez au gouvernement, et, pour le conquérir, conquérez celle qui le donne, l’opinion publique. La ruine des vains accommodemens vous ramène devant le souverain arbitre que vous négligiez, et pour déposer contre le parti que vous espériez gagner. L’heure n’est plus de taire vos griefs pour vous concilier le gouvernement, mais de les dire pour lui aliéner la France. Et comme tous les actes d’un parti aux affaires sont des témoins à sa décharge ou à sa charge, et comme dans la nation chaque citoyen est plus touché par certains intérêts, toute la politique doit être passée au van d’une agitation