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vivante la mélancolie des choses mortes, un air de tenter une opinion comme une épreuve, ou de s’y résigner comme à une contrainte. Nul ne s’étonnera que vous gardiez à la monarchie tout votre respect ; on n’accepterait pas que ce respect cachât une espérance. L’obstination de cette espérance irrite depuis vingt ans le peuple. Si l’équivoque de déclarations vagues prête au soupçon ; si, tandis que votre bouche les donnera, flotte encore dans votre regard le rêve qui charmait votre sommeil ; si même, tout éveillés et sincères, vous trahissez une répugnance instinctive et un dédain inconscient pour les institutions acceptées, la barrière de défiances qui vous isole du peuple ne tombera pas. Trop d’intérêts travaillent à perpétuer entre vous et lui les discordes, pour que vous puissiez le gagner à demi.

La république n’est pas une rade foraine d’où vous étendrez, au premier souffle, vos voiles vers un rivage innomé. La république est le port où abordent vos longues incertitudes, où vous prenez terre pour jamais. Voilà ce qu’il faut dire ; et, pour le dire, ce qu’il faut croire. La sincérité seule a le don divin de la persuasion, parce qu’elle gagne à la fois les intelligences et les cœurs. Allez donc à ce peuple, loyaux pour qu’il vous aime, livrez-vous pour qu’il se donne. Ne soyez pas avares de la bonne nouvelle, ne vous offensez pas s’il vous demande, plus qu’il ne serait discret, de répéter vos engagemens envers la république. Vous les avez fait si longtemps attendre, et il y aura tant de joie sur la terre pour cette conversion des justes ! Plus on vous verra résolus, moins on exigera de gages, et vous passerez pour républicains dans l’exacte mesure où vous sentirez l’être vous-mêmes. Et la France ne vous contestera pas le titre si elle voit en vous le courage des sacrifices généreux, la paix des résolutions irrévocables, la fierté de la grandeur nouvelle que la démocratie libre doit ajouter aux grandeurs historiques de la monarchie, la foi enfin qu’il n’y a pas déchéance à servir, après la gloire des rois, le bonheur des peuples.


ETIENNE LAMY.