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le premier, afin que le théologien lui explique la possibilité et les caractères de la révélation, le second afin qu’il lui démontre, « si l’on ose ainsi parler, la raison qui a déterminé le conseil de Dieu à choisir ce genre de rédemption préférablement à tout autre. » À ces questions, Frédéric avait répondu par avance ; la foi n’avait jamais été son fort, comme il dit au pasteur, et, certainement, il l’avait déjà perdue ; mais je ne crois pas qu’il ait voulu seulement se procurer le plaisir d’entendre une discussion ou un développement d’éloquence. Il se mettait alors, — c’était au printemps de 1736, — à raisonner sérieusement sa vie et à prendre des partis ; avant de se résoudre au sujet de la religion, il s’est posé le problème une dernière fois, et il l’a bien posé. Nous le verrons bientôt procéder en toute chose avec cette méthode, c’est-à-dire discerner le point à démontrer, y attacher son esprit, entendre le pour et le contre, juger et décider. Je ne sais pas au reste si le pasteur Achard a prononcé les deux sermons ; mais Frédéric, à ce moment-là, se déclara à plusieurs reprises et en termes très vifs contre la rédemption, contre la révélation, contre les prophètes et l’évangile. Et ce fut une chose réglée : son parti est pris et jamais il n’en démordra.

La religion, il ne la rejette pas seulement, il la méprise et il la hait. Dès les années de Rheinsberg, il donne un large cours à ses sentimens. Il y met des nuances, il est vrai, selon qu’il parle de telle ou telle confession chrétienne. Il a des paroles d’estime pour le protestantisme qu’il appelle de temps en temps notre religion, ou même notre sainte religion, et, parmi les sectes protestantes, il préfère le calvinisme : affaire d’éducation peut-être, et prédilection de philosophe pour la foi qui demande les moindres sacrifices à la raison ; affaire de politique aussi : une des forces de la Prusse était de représenter le protestantisme envers et contre l’Autriche, et le prince royal n’était pas homme à se priver d’aucune des forces de la Prusse. Mais ces considérations ne prévalurent pas sur la fermeté de son irréligion totale. Voltaire paraissait croire que les ministres protestans valent mieux que les prêtres catholiques ; Frédéric proteste : « Ils se ressemblent tous ! » Voltaire disait encore que l’engeance des dévots n’existe qu’en pays catholique ; il avait exprimé cette opinion dans une lettre où il marquait non sans justesse un contraste entre les mœurs des rois réformés du Nord et celles des rois catholiques du Midi ; Frédéric lui accorde que les rois du Nord ont de grandes obligations envers Luther et Calvin, « pauvres gens d’ailleurs, » qui les ont affranchis du joug de la cour romaine et ont augmenté leurs revenus par la sécularisation des biens ecclésiastiques ; mais, dit-il, nous avons