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Ces deux derniers peuples surtout vinrent en grand nombre, occupèrent de vastes espaces, fondèrent des royaumes durables. Les Angles, dont le nom devait rester à tout le peuple, occupèrent le Northumberland, une partie du centre et la côte nord-est, depuis l’Ecosse jusqu’au comté actuel d’Essex ; les Saxons s’établirent plus au sud, dans les régions qui reçurent d’eux les noms d’Essex, Sussex, Middlesex, Wessex (Saxons de l’est, du midi, du milieu, de l’ouest). Ce fut dans ces deux groupes de tribus ou de royaumes que la littérature prit le plus de développement et ce fut principalement entre eux que la lutte pour la suprématie s’établit après la conquête. De là, le nom d’Anglo-Saxons généralement donné aux habitans du sol pour toute la période pendant laquelle des dialectes purement germaniques furent parlés en Angleterre. Ce mot composé, qui a été récemment l’objet de beaucoup de controverses, a l’avantage d’être clair ; il a pour lui le long usage ; et il convient, par sa forme même, à une période où le pays n’était point unifié et appartenait à deux agglomérations principales de tribus, celle des Angles et celle des Saxons.

Les envahisseurs se trouvaient, comme en Gaule, en présence de peuples infiniment plus civilisés qu’eux, habiles dans les arts, bons agriculteurs, riches commerçans, dans la patrie desquels s’élevaient ces grandes villes que les Romains avaient fortifiées et reliées par des routes. Jamais ils n’avaient rien vu de semblable, et leur surprise se manifesta par des additions à leur vocabulaire. Ne sachant comment désigner ces étranges choses, ils leur laissèrent les noms qu’elles avaient dans la langue des habitans : castrum, strata, colonia, dont ils firent chester, street ou strat comme dans Stratford, coln comme dans Lincoln.

Les Bretons qui portaient la toge et que les légions ne protégeaient plus firent une faible résistance ; la marée montante des Barbares les entoura et bientôt les engloutit ; ils cessèrent d’exister comme peuple. Les cités furent rançonnées, les campagnes ravagées, les villas rasées et, sur les points où les indigènes voulurent faire front à l’ennemi, d’effroyables hécatombes furent immolées par les adorateurs de Thor et d’Odin.

Mais les vainqueurs ne purent tout détruire, et ici se pose la question si importante de la survivance celtique. Beaucoup d’admirateurs des conquérans leur font honneur de massacres surhumains. Aucun Celte n’aurait survécu ; la race aurait été refoulée jusqu’en Galles ou détruite ; si bien qu’il aurait fallu repeupler entièrement le pays, et qu’une nouvelle nation toute germanique, aussi pure de mélange que les tribus des bords de l’Elbe, se serait formée sur le sol britannique. Mais l’examen des faits montre que ce titre de gloire ne peut être revendiqué pour les vainqueurs. La tâche était