Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/625

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

serons bien forcés de croire que chez lui l’intention tient plus de place que le fait et de craindre que la curiosité dont il bénéficie ne tienne plus à l’étrangeté matérielle d’une exécution approximative qu’à la singularité foncière d’une personnalité puissante. Le tableau de M. Henri Martin est d’ailleurs presque une redite de son tableau de l’an dernier. Il faut attendre cet intéressant artiste à quelque œuvre prochaine où il se dégagera plus résolument. Le Carpeaux de M. Maignan ne soulève pas de telles discussions. La manière du peintre, sérieuse et traditionnelle, ne surprend pas les yeux. Là aussi, c’était un rêve à montrer et des apparitions à représenter. L’artiste avait trop de goût pour évoquer brutalement les œuvres du statuaire dans leur matière même, pour leur laisser la solidité de l’argile, du marbre, du bronze ; ce sont des sculptures vaporisées, mais néanmoins, dans ces fantômes, on sent, sous l’apparence légère, la structure, le mouvement, la vie d’êtres organisés. Dans ce nuage, d’une peinture souple, flottante, brossée avec une grande habileté, s’assemblent et se reconnaissent sans effort les Bacchantes de l’Opéra, la Flore des Tuileries, les Quatre parties du monde de l’Observatoire, toutes belles créatures, déjà vivantes, qui n’ont eu qu’à s’alléger, en quittant leurs piédestaux ou leur frise, pour apporter à leur père le baiser d’adieu. Tout ce tourbillon de sculptures animées enveloppe le mourant avec une tendresse émouvante. On peut regretter pourtant que la transparence des visions ait gagné jusqu’au visionnaire. Un peu plus d’accent dans la figure du Carpeaux, une figure bien réelle, celle-là, n’aurait rien pour nous choquer ; cela donnerait même tout son prix à une œuvre heureusement venue.

Le succès de M. Maignan est d’autant plus agréable à constater que l’artiste est l’un de ceux dont les efforts intelligens se sont toujours attachés à l’interprétation poétique de la réalité. Si la mode revient aux rêves libres de l’imagination, M. Maignan aura été, dans sa génération, un des ouvriers de la première heure, comme l’auront été MM. Luc-Olivier Merson et Henry Lévy, dont le Salon ne nous offre que de petits ouvrages, mais d’un faire excellent et d’une conception distinguée. Une Annonciation, faite au bord d’une fontaine, par un angelot florentin, à une petite vierge faubourienne, une Fortune endormie à côté d’une route poudreuse que suit, à grands pas, un aveugle avec son chien, montrent le talent délicat et savant de M. Olivier Merson, sous ses formes les plus exquises, dans sa grâce un peu maniérée. L’Eve cueillant la pomme et l’Œdipe s’exilant de Thèbes, par M. Henry Lévy, d’une saveur moins raffinée, ont néanmoins, le dernier surtout, avec ses jeux tragiques de chaudes colorations, un charme puissant de grandeur triste. Cet Œdipe où les personnages,