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étrangers les serrent de près. Ce n’est pas seulement par le nombre que les Belges, les Suédois, les Américains, les Anglais envahissent nos Salons, c’est aussi par le mérite. On n’en a jamais été plus frappé qu’aujourd’hui, mais, depuis plusieurs années déjà, leurs progrès sont visibles. Ils viennent ici, d’abord, comme nous allions autrefois en Italie, pour y participer aux bénéfices de notre fort enseignement traditionnel, et pour s’y approprier nos procédés et nos méthodes ; quelques-uns d’entre eux s’y perdent et se confondent avec le milieu parisien, mais d’autres retournent chez eux travailler en silence ; ces derniers sont en train de devenir pour nous des rivaux redoutables. Tout le monde a été frappé, notamment, de la justesse d’observation, de la profondeur simple de sentiment, de l’habileté sûre et modeste d’exécution, avec lesquels certains Anglais ont su renouveler des sujets, en apparence, fort vulgaires. L’enterrement d’un enfant, dont le petit cercueil, couvert de fleurs, est escorté par des jeunes filles en blanc, de M. Bramley, ne donne pas seulement l’impression d’une douleur sincère et contenue par un sentiment profond de foi et d’espérance, mais encore celle d’une peinture savante et délicate dans son exactitude et dans son harmonie. Avec moins d’élévation et de distinction, l’Armée du salut, par M. Forbes, une prédication, sur un quai, faite à de naïfs marins, offre encore des qualités du même genre. La Maison mortuaire en Bretagne, veillée de paysannes auprès d’un entant mort, montre avec quelle habileté M. Wallen, un Suédois, a su profiter des exemples de M. Dagnan et se faire, à sa suite, une véritable personnalité. Son tableau, très simplement présenté, très bien éclairé, est sincère et émouvant. Nous sommes fort loin, avec eux, de cette sentimentalité pleurnicheuse et affectée, qui gâte si souvent ces sortes de sujets et ne leur permet de trouver des admirateurs que dans les catégories de spectateurs les plus naïves.

En ce moment, nos peintres rustiques et populaires semblent moins préoccupés de caractériser vivement les types, au point de vue expressif, par les accens du dessin que de les poétiser, au point de vue pittoresque, par l’action des lumières ambiantes. L’évolution, en soi, n’a rien que de légitime et correspond aux habitudes de vision, plus exigeantes et plus raffinées, qui nous ont été données par l’école du paysage, l’école du plein air, si l’on veut. L’essentiel est de ne pas sacrifier là encore la proie pour l’ombre, ainsi qu’on l’a fait déjà dans la peinture décorative. Dans un tableautin, qu’on accroche dans un salon ou dans un cabinet, tableautin qu’on aura sans cesse sous les yeux, l’impression restera ien peu durable et ne satisfera que des esprits assez bornés, si