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mal. M. Giolitti cependant se montrait modeste, même assez humble ; il ne réclamait pas un vote de confiance ; il se contentait, sans y mettre de fierté, d’un simple ordre du jour d’expectative, — et, même dans ces conditions, il n’a pas eu un grand succès. Au scrutin qui a clos la discussion, il n’a eu qu’une majorité de neuf voix ! Décidément, M. Giolitti n’a pas été heureux dans sa première entrevue avec son parlement. Il a compris sans doute ce qu’il y avait de faux dans sa position, puisque dès le lendemain il est allé porter la démission du ministère au roi, qui l’a d’abord refusée ; mais ici, de toute façon, c’est visiblement une crise nouvelle qui s’ouvre, — la troisième depuis trois mois !

On ne peut, en effet, donner un autre nom à cet état mal défini où un ministère obligé de donner sa démission, mais retenu au pouvoir par la volonté royale, reste l’administrateur précaire et médiocrement accrédité des affaires publiques. Seulement ce n’est plus une simple crise ministérielle, c’est une crise plus générale, plus profonde, s’étendant à la nation entière, par cela même qu’elle n’a plus désormais d’autre issue qu’un appel au pays. M. Giolitti reste évidemment aux affaires pour présider à des élections prochaines, et la demande de six douzièmes provisoires qu’il est allé immédiatement porter à la chambre n’est qu’un moyen de gagner du temps, de se donner toute liberté pour arriver au scrutin. Le parlement se prêtera-t-il à cette tactique ? Il a paru plus froissé et surpris que bien disposé à accorder ce blanc-seing qu’on lui demande pour six mois, qu’il n’accordera peut-être tout au plus que pour deux ou trois mois. Par le fait, c’est une assez grosse aventure où M. Giolitti va s’engager, tandis que M. Crispi fait déjà entendre ses fanfares dans un discours qu’il est allé prononcer à Palerme, comme pour annoncer sa candidature au pouvoir ; mais dans tous les cas, que les élections soient plus ou moins prochaines, que M. Giolitti demeure au pouvoir ou que M. Crispi lui succède, la situation ne reste pas moins ce qu’elle est : la question est toujours la même. L’Italie a devant elle l’inévitable problème. Elle veut avoir une puissante armée, une puissante marine, un état militaire qu’elle s’est laissé imposer par des alliances d’ostentation. Elle veut jouer un grand rôle parmi les empires ; mais pour soutenir ce rôle il faut payer sans mesure, sans profit, sans compensation, au risque d’épuiser la fortune et le crédit du pays. L’Italie va avoir une fois de plus à dire par ses élections si elle est décidée à se ruiner jusqu’au bout sous le prétexte chimérique de défendre une indépendance que personne ne menace ou si elle veut rentrer dans les conditions d’une nation sensée limitant ses dépenses à ses ressources, aux nécessités de sa position. C’est là toute la question : on ne sortira pas de là !

Comment la vie parlementaire a dans tous les pays ses surprises et ses coups de théâtre, comment le suffrage populaire peut osciller