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Écoutez, d’ailleurs, comme il parle du devoir militaire du prince. Le prince doit présider dans son armée comme dans sa résidence. C’est lui qui fait livrer les batailles, c’est bien le moins qu’il aille sous le feu enseigner le mépris des périls et de la mort. S’il n’est pas né soldat, il prendra conseil de militaires entendus ; « sa présence auguste » empêchera la mésintelligence des généraux, et, comme tous les ordres émaneront de sa personne, le conseil et l’exécution se suivront avec une rapidité extrême. Mais un prince, s’il n’est pas né soldat, n’est qu’une moitié de prince ; le prince complet, c’est le « juge d’institution, » qui, transporté dans les batailles, en « dirige l’exécution, communique par sa présence l’esprit de valeur et d’assurance aux troupes, et montre comme la victoire est inséparable de ses desseins, et comme la fortune est enchaînée par sa présence. » On sent bien ici à l’élévation du discours et à l’émotion de l’orateur que Frédéric exprime un sentiment vif. Plus tard, il dira qu’il faut parler du militaire à un jeune prince avec autant de piété que le prêtre parle de la révélation. Cette piété est en lui déjà, et nous voilà rassurés sur le sort de l’accessoire : l’accessoire ne sera pas sacrifié.

Sur l’usage que le prince doit faire de cette force dans la politique, nous allons entendre des paroles très belles. Frédéric enseigne qu’entre un héros conquérant et un voleur de grand chemin, la seule différence est que l’un, voleur illustre, est couronné de lauriers, tandis que l’autre, faquin obscur, est pendu à une potence. Il prêche qu’il faut se contenter de son état, ne point convoiter les richesses d’autrui, ne jamais faire aux autres ce que vous ne voudriez point qu’on vous fît à vous-même, et plier la politique sous les maximes d’une « morale simple et épurée. » Ce sont les thèses philosophiques et chrétiennes qu’il soutenait contre Machiavel, ce séducteur infâme, comme il dit, ce docteur en scélératesse, ce tigre, et de qui le livre du Prince est une voirie dont la peste se communique à l’air des alentours. Car Frédéric est éloquent dans la Réfutation du Prince de Machiavel, et même il l’a écrite, nous le savons déjà, avec le dessein d’être éloquent.

Cette simple maxime de Machiavel : « La libéralité rend pauvre, et par conséquent méprisable, » l’emporte à cette apostrophe : « Quoi ! Machiavel ! les trésors d’un riche serviront d’équilibre à l’estime publique ! Un métal méprisable en soi-même, et qui n’a qu’un prix arbitraire, rendra celui qui le possède digne d’éloges ! » Il n’est pas seulement pathétique ; il est mélodramatique. Il prédit au tyran criminel, « qu’à supposer que les foudres du ciel ne l’écrasent pas à point nommé, il sera puni par sa conscience, cette voix puissante qui se fait entendre sur le trône des rois, et qu’il ne pourra pas éviter cette funeste mélancolie, qui, frappant son