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la raison suffisante, remonter aux causes, c’est-à-dire s’appliquer à connaître « les principes permanens des cours, les ressorts de la politique de chaque prince, les sources des événemens, » de façon à pouvoir juger quelle sera, dans une circonstance donnée, la conduite de tel ou tel État. — Ne pas oublier que deux États, qui se rencontrent dans la même politique, n’agiront point pourtant de la même façon, car les causes naturelles, comme les climats et les alimens, et les habitudes transmises par l’éducation, déterminent en eux le caractère selon lequel ils agissent. En toute affaire, un Français se conduit avec la vivacité d’un singe, et un Hollandais avec le flegme d’une tortue. — Ne jamais rester neutre, quand la guerre est près de vous, car vous exposez votre pays aux injures des deux parties belligérantes ; vous avez tout à perdre et rien à gagner. Ne pas croire qu’on puisse se passer d’alliés, car il est peu de princes, s’il en est, qui se puissent soutenir sans alliances ; pour être, à la fin, demeuré seul, Louis XIV a failli succomber. — Sur le point de conclure un traité, il faut bien distinguer la nature des choses qu’on veut promettre, bien éclaircir les termes, et que le grammairien pointilleux précède le politique habile. — Ne pas s’engager légèrement avec de plus puissans que soi, qui, au lieu de vous secourir, pourraient vous détruire ; imiter la sagesse du Grand-Électeur, qui ne voulut pas appeler les Russes contre les Suédois, craignant de ne plus être maître de ces ours moscovites, après qu’il les aurait déchaînés. — Une certaine prédilection pour une nation, une aversion pour une autre, des préjugés de femme, des querelles particulières, de petits intérêts, des minuties ne doivent jamais éblouir les yeux de princes qui commandent des peuples entiers. Il faut qu’ils visent au grand et sacrifient sans balancer la bagatelle aux principes. L’impartialité et un esprit débarrassé de tout préjugé est aussi nécessaire en politique qu’en justice. — Ne pas confondre faire du bruit avec acquérir de la gloire ; discerner la vraie gloire de la fausse, car il n’est pas de sentiment plus funeste pour un prince, qu’un désir excessif de fausse gloire. Charles XII ne rêvait que guerres et conquêtes à la façon d’Alexandre ; il portait sur soi, dès sa plus tendre enfance, la Vie d’Alexandre le Grand ; aussi des personnes, qui ont connu cet Alexandre du Nord, affirment que c’est Quinte-Curce qui ravagea la Pologne, et que la bataille d’Arbelles occasionna la défaite de Poltava. Enfin, il y a une façon de s’agrandir autre que la conquête ; c’est l’activité d’un prince laborieux qui fait fleurir dans ses États tous les arts et toutes les sciences, et les rend ainsi plus puissans et plus policés.

Voilà enfin la vraie morale de Frédéric, une morale qu’il mettra en action, ligne pour ligne et mot pour mot. Les déclarations