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nous jetons au jeune homme la bride sur le cou ; nous lui remettons le gouvernement de lui-même. Nous admettons que, par une grâce extraordinaire, l’écolier est tout d’un coup devenu un homme, qu’il est capable de se donner des consignes et de les suivre, qu’il s’est habitué à peser d’avance les conséquences prochaines et lointaines de ses actes, à se les imputer, à s’en croire responsable, que sa conscience, subitement maîtresse, et sa raison, subitement adulte, vont marcher droit à travers les séductions et se redresser vite après les défaillances. En conséquence, on le lâche, avec une pension, dans une grande ville ; il s’inscrit à la Faculté, et devient un étudiant, parmi dix mille autres, sur le pavé de Paris. — Or, en France, aucune police universitaire n’intervient, comme à Bonn et Gœttingue, à Oxford et Cambridge, pour surveiller sa conduite et réprimer ses écarts, à domicile et dans les lieux publics : à l’École de médecine, de droit, de pharmacie, des beaux-arts, des chartes, des langues orientales, à la Sorbonne, à l’École centrale, son émancipation est totale et brusque. Quand il sort de l’éducation secondaire pour entrer dans l’éducation supérieure, il ne passe pas, comme en Angleterre et en Allemagne, d’une liberté restreinte à une liberté moins restreinte, mais d’une discipline claustrale à l’indépendance complète. En chambre garnie, dans la promiscuité et l’incognito d’un hôtel banal, à peine échappé du collège, le novice de vingt ans trouve autour de lui les innombrables tentations de la rue, l’estaminet, les brasseries, les bals publics, les publications obscènes, les camaraderies de rencontre, les liaisons de bas étage ; contre tout cela, son éducation antérieure l’a désarmé ; au lieu de constituer en lui la force morale, le long et strict internat a maintenu en lui la débilité morale. Il cède à l’occasion, à l’exemple : il suit le courant, il flotte au hasard, il se laisse aller. A l’endroit de l’hygiène, en matière d’argent, du côté du sexe, ses sottises et ses folies, grandes ou petites, sont presque inévitables, et sa chance est moyenne si, pendant ses trois, quatre ou cinq années de licence plénière, il ne se gâte qu’à demi.


H. TAINE.