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domaine inaliénable de notre état, » et n’oublions pas de mettre en regard le compte de nos biens ; nous verrons qu’après tout nous ne sommes pas si malheureux. Tâchons de diminuer nos maux ; nous le pouvons, à condition de régler notre imagination, car une partie de nos chagrins nous vient des mensonges de cette folle, et des promesses qu’elle fait et que la vie ne tient pas. Commencez donc par « refuser l’entrée de votre âme à tout ce que vous ne pouvez atteindre de la réalité ! » Servons-nous au contraire de notre imagination pour ajouter à nos biens : « Puisque le bonheur ne consiste que dans la représentation que s’en fait notre imagination, mettez donc, s’il est possible, une idée de bonheur dans la vôtre ; faites régner une illusion flatteuse sur votre esprit. » Et, au lieu de nous morfondre dans une morosité philosophique, recherchons et appelons le plaisir : « Je voudrais ouvrir toutes les portes de l’âme par où le plaisir peut venir à nous. »

Ce jeune sage observe en toute chose la juste mesure. Il serait tenté, au fond, d’opposer à la vie l’impassibilité des stoïciens, mais c’est là une doctrine immodérée, qu’il met à côté de la quadrature du cercle et de la pierre philosophale. Il ne la rejette pas toutefois, car elle peut être d’un grand secours dans la vie, où il y a temps pour Zénon, comme pour Épicure. La sagesse pratique, Frédéric la définira plus tard ; il faut savoir être


Dans les jours fortunés, disciple d’Épicure,
Dans les jours désastreux, disciple de Zénon…


À défaut de la chimérique ataraxie, il saura bien se procurer « un certain contentement de l’esprit, une certaine tranquillité d’âme. » Pourquoi vous démener et vous tourmenter ? nous dit-il. Bien que vous vous soyez interdit de discuter si vous êtes libre ou non, vous sentez sans doute que vous êtes conduit par la vie plutôt que vous ne la conduisez. Eh bien, imaginez que vivre, c’est « lire un livre où vous êtes obligé à chaque page de suivre l’auteur qui vous mène. » Les pages se suivent, mais ne se ressemblent pas ; il en est de laides et de tristes, mais attendez et ne désespérez jamais. Au livre des siècles, vous voyez une série d’actions innombrables, qui sont obligées de se succéder sans interruption, et toujours un changement se produira après qu’une certaine quantité d’actions se sont écoulées. « Le ciel n’est pas toujours serein ; des frimas continuels ne couvrent pas la surface de nos champs ; prenons donc, mon cher Diaphane, le temps comme il vient, et pensons qu’il faut nécessairement fournir notre carrière. » Mais, si le malheur s’entête, si, après que vous avez épuisé toutes les ressources de votre prudence et de votre courage, la tempête, contre toute