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façon presque régulière, ou, si l’on veut, la livre a diminué effectivement de 80 pour 100 par chaque siècle, mais, dans le XVIe siècle, plutôt moins que dans les autres.


IV

Quelle a donc été la cause de l’affaiblissement progressif de la livre tournois ? Et comment ce mot, qui signifiait, en 1220, 98 grammes d’argent fin, est-il venu à n’en plus signifier que 11 en 1600, et 4 en 1789 ?

Évidemment l’ingérence de l’État a joué un rôle dans cette dépréciation, quand elle s’attaquait soit aux espèces, soit au prix du kilogramme de métal, d’une manière lente et soutenue. Le public n’était pas la dupe du gouvernement, dans ce dernier cas plus que dans l’autre ; il ne cédait qu’en apparence. Il consentait à appeler « livre » une quantité de métal fin moins grande qu’auparavant, et à prendre pour une livre une monnaie qui, par son titre ou son poids, ne valait précédemment par exemple que 18 sous. Mais il rehaussait nominalement, dans la même proportion du dixième, toutes les espèces d’argent, nationales ou étrangères, en circulation dans le moment ; et celles qui valaient jusque-là une livre se trouvaient dès lors valoir dans le commerce 22 sous. Il agissait de même envers toutes les espèces d’or. Nombreuses sont les ordonnances royales qui menacent, aux XIVe et XVe siècles, de peines sévères, voire de la confiscation des espèces, ceux qui prennent les monnaies d’or pour un prix supérieur au cours légal. Inutile d’ajouter que ces ordonnances n’étaient suivies d’aucune exécution.

Le même phénomène se produisait sur l’argent et les espèces d’argent, quand le roi s’en prenait à une espèce d’or ou au prix du kilogramme d’or : c’était l’argent qui montait, et il en résultait de même que la livre ne correspondait plus qu’à un peu moins d’or et à un peu moins d’argent.

Souvent aussi, sans aucune intervention du souverain, le rapport des deux métaux se dérangeait, comme il s’est dérangé dans notre siècle. Les ouvrages des financiers les plus sérieux, parus entre 1840 et 1850, témoignent la plus grande inquiétude sur la baisse probable de l’or, qui menaçait d’être terrible. On était à ce moment sous le coup des premières exploitations de la Californie, et déjà l’argent faisait une forte prime. Le contraire s’est produit, ainsi qu’on sait, depuis vingt ans ; et le kilogramme d’or, au lieu de valoir seulement 15 kilogrammes et demi d’argent, comme la i loi française lui en fait un devoir, se permet d’en valoir plus de 18.