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Il en fut souvent ainsi de l’an 1200 à l’an 1600. Le rapport entre les deux métaux descendit jusqu’à 10 et s’éleva jusqu’à 13. J’entends le rapport réel et commercial, non pas un rapport imaginaire comme celui qui est donné dans quelques tableaux, d’après ces prix fantaisistes du métal dont j’ai parlé plus haut, qui n’ont jamais été effectivement acceptés, et qui font varier la proportion de 17 en 1310 à 2 et demi en 1355.

Chaque fois que l’un des deux métaux montait, par rapport à l’autre, on évaluait celui qui faisait prime en un plus grand nombre de livres : si, le marc d’argent valant 5 livres et le marc d’or 60, au rapport de 1 à 12, l’argent devenait tout à coup plus abondant, son prix moindre par conséquent, et que l’opinion voulût établir le rapport de 1 à 13, on cotait le marc d’or 65 livres au lieu de 60. Si, quelque temps après, c’était l’or qui baissait à son tour, et ne valait plus que 11 fois l’argent au lieu de 13, pour obtenir cette proportion nouvelle, on cotait l’argent à 6 livres au lieu de 5. Mais toujours c’était par une élévation nominale en livres-monnaie que se manifestait le changement de rapport des deux métaux. On ne réduisait jamais le prix, exprimé en livres, du métal qui baissait, on augmentait le prix de l’autre. Aujourd’hui où l’argent vaut légalement 222 francs le kilogramme et l’or 3,441 fr., nous disons, pour évaluer une baisse de 20 pour 100 de l’argent, qu’il ne vaut plus que 178 francs ; tandis que nos pères auraient dit que l’or vaut 4,130 francs. L’élasticité d’une monnaie de compte, qui n’était ni en or, ni en argent, facilitait singulièrement cette manière d’agir.

On devine que, maintes et maintes fois répétées, dans le cours de six siècles, ces hausses et ces baisses des deux métaux, qui dépréciaient inévitablement la livre, aient fini par la réduire à peu de chose. D’autant plus que, lorsque le fait se produisait, les gouvernemens ne manquaient pas d’intervenir, et accentuaient encore la baisse de ladite livre, sans le vouloir. Les gouvernemens d’autrefois croyaient « dur comme fer, » selon la locution populaire, qu’il existait entre l’or et l’argent un « juste rapport ; » — on n’ose trop leur jeter la pierre à cet égard, les gouvernemens modernes l’ont cru très longtemps, et il existe peut-être des hommes d’État qui le croient encore. — Partant, les plus honnêtes estimaient avoir le droit, et même le devoir de maintenir ce rapport, puisqu’il était « juste. » Quand l’un des deux métaux renchérissait, bien vite des édits, ordonnances ou déclarations solennelles commençaient par lui enjoindre de reprendre son ancien prix ; à quoi naturellement il n’avait garde d’obtempérer. Désespérant de vaincre cette résistance et de faire rentrer dans l’ordre cette marchandise rebelle, impuissant contre ce « cours abusif, » comme il le