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connues, et récemment, ici même, M. Brunetière en montrait toute l’importance. Si la science a la certitude, en effet, elle a, par cela même, la puissance ; c’est là une croyance de Descartes qui lui est commune avec Bacon et avec tous les savans de son époque. Savoir, c’est pouvoir dans la mesure même où l’on sait. Si nous n’avons pas l’omnipotence, c’est que nous n’avons pas l’omniscience. Mais nous pouvons accroître sans cesse notre savoir, et de là dérive la foi cartésienne dans le progrès de la science à l’infini. Toutes les choses qui peuvent tomber sous la connaissance des hommes s’entre-suivent, dit-il, de la même façon que les raisons des géomètres ; pourvu donc « qu’on s’abstienne d’en recevoir aucune pour vraie qui ne le soit, et qu’on garde toujours l’ordre qu’il faut pour les déduire les unes des autres, il n’y en peut avoir de si éloignées auxquelles on ne parvienne, ni de si cachées qu’on ne découvre. » Ce qu’on nomme « l’antiquité » n’était vraiment que l’enfance et la jeunesse du genre humain : « A nous plutôt convient le nom d’anciens ; car le monde est plus vieux qu’alors, et nous avons une plus grande expérience. » Les derniers venus commenceront où les précédens auront achevé, et ainsi, « joignant les vies et les travaux de plusieurs, » nous irons tous ensemble « beaucoup plus loin que chacun en particulier ne pourrait faire. » Descartes était un enthousiaste de la science. Et lui-même a dit : « C’est un signe de médiocrité d’esprit que d’être incapable d’enthousiasme. »

Au progrès de la spéculation répondra celui de la pratique. À cette philosophie spéculative qu’on enseignait dans les écoles, Descartes en veut substituer une « pratique » qui servira « pour l’invention d’une infinité d’artifices. » « De plus, on se pourrait exempter d’une infinité de maladies, tant du corps que de l’esprit, et même aussi peut-être de l’affaiblissement de la vieillesse, si on avait assez la connaissance de leurs causes et de tous les remèdes dont la nature nous a pourvus. »

Une telle loi à la science engendre, on le voit, un véritable optimisme. Il dépend de nous et de ne plus nous tromper et de ne plus subir les conséquences pratiques de l’erreur, et de diminuer indéfiniment les maux de la condition humaine. Là-dessus, Descartes lui-même dut en rabattre. Après avoir espéré reculer la mort, il finit par avouer que le moyen le plus sûr pour la vaincre, « c’est de ne pas la craindre[1]. »

  1. Les nouvelles théories médicales permettent d’ailleurs d’admettre, avec Descartes, que les hommes pourraient un jour mourir, non de maladie, mais de vieillesse.