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prodiges étudiés jusqu’ici étaient des visuels, nous dirions presque des voyans. On s’est cru en droit d’en conclure que sans mémoire visuelle il n’y a point de calcul mental possible. Voici un jeune homme qui ne voit pas les chiffres, qui les entend simplement résonner dans sa mémoire, et ce jeune homme est capable d’exécuter de tête des opérations au moins aussi compliquées que celles de ses devanciers.


IV.

Nous nous sommes proposé, dans le présent travail, de faire, à propos de M. Inaudi, une étude sur la mémoire des chiffres. Cette étude est maintenant à peu près terminée, et il ne nous reste plus qu’à conclure. Mais avant de le faire, nous devons présenter une observation importante. On pourrait supposer, en voyant le rôle joué par la mémoire dans le calcul mental, que c’est la seule faculté développée chez les calculateurs prodiges ; il suffirait donc de pouvoir retenir dans sa tête une longue suite de chiffres pour calculer comme le fait M. Inaudi ; quelques auteurs récens ont commis cette erreur ; ils n’ont vu chez M. Inaudi qu’un simple cas « d’hypermnésie des chiffres. » Nous croyons utile de mettre en garde contre une pareille interprétation, qui simplifie beaucoup trop les questions ; elle est contraire aux données psychologiques les plus certaines et les mieux établies. Prenons un acte élémentaire de l’esprit, analysons-le, et nous verrons que cet acte élémentaire suppose le concours d’un grand nombre d’opérations bien coordonnées ; à plus forte raison ce concours est-il nécessaire pour des actes aussi complexes que des calculs mentaux. Nous avons fait, à ce sujet, un grand nombre d’expériences sur M. Inaudi, nous avons voulu étudier l’ensemble de ses aptitudes psychologiques et faire en quelque sorte le tour de son intelligence ; nous avons pu constater que chez lui un certain nombre de facultés sont extrêmement développées, et que ces facultés sont précisément celles qui concourent aux opérations de calcul. La perception, l’attention, le jugement, dans la mesure et dans la forme où ces actes sont nécessaires aux opérations de calcul mental, ont acquis le même développement que la mémoire des chiffres[1].

La question qui nous reste à examiner est celle de savoir comment ces diverses aptitudes se sont formées. En d’autres termes,

  1. On trouvera le détail des expériences dans le Recueil des travaux du laboratoire de psychologie physiologique.