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mes intérêts peuvent en être révoltés ; ma conscience se refuse à les déclarer coupables parce qu’ils essaient de le faire triompher, comme M. Laffitte a fait triompher le sien contre celui de M. de Polignac. Depuis 1789, la reconstruction du monde est en adjudication ouverte, au plus offrant. Qui aura qualité pour arrêter les enchères, pour dire devant tel essai, à tel jour : adjugé ! — Passe encore pour l’exposé des doctrines, me répondrait peut-être M. Thureau-Dangin, et bien d’autres avec lui ; mais le crime commence dès que ces doctrines impliquent l’appel formel ou dissimulé à la violence. — Sans doute, sans doute, il faut toujours maintenir cet excellent principe, il faut excommunier d’avance tous ceux qui porteront la pioche révolutionnaire dans un édifice vermoulu. Seulement… Seulement j’admire et j’envie de tout cœur le sérieux du catéchiste qui peut fulminer cet anathème, entre les monumens commémoratifs de la Révolution et la colonne de Juillet. — « J’y suis, j’en ai délogé les autres, on me respecte et m’applaudit d’y avoir réussi ; qui viendra m’en déloger est un brigand ! » Les enfans disent cela, dans les petits châteaux de sable qu’ils élèvent sur la plage, entre deux marées.

A notre époque, tout réveil idéaliste qui succède à une période de matérialisme se manifeste par deux mouvemens simultanés : un mouvement socialiste, pour ceux qui cherchent leur idéal sur terre ; un mouvement religieux, pour ceux qui le placent au ciel. Il appartient au second de modérer le premier. La renaissance de l’esprit religieux était appelée par beaucoup, à la veille de 1848, et annoncée par des voix éloquentes. M. Thureau-Dangin constate le grand effet produit sur l’opinion par le discours de Montalembert, en août 1847. « Qu’y a-t-il de plus infirme dans ce pays ? disait-il à M. Guizot. Vous l’avez proclamé avec plus d’éloquence que personne, c’est l’état des âmes ; c’est elles qui ont besoin qu’on leur prêche le dévoûment, le désintéressement, la pureté ; c’est l’éducation morale de ce pays qui est, sinon à refaire, du moins à modifier profondément. Et comment vous y prendrez-vous ? C’est une banalité que de le dire, vous ne pouvez vous y prendre sérieusement que par cette forte discipline des âmes et des consciences qui se trouve dans la religion… Qu’avez-vous fait pour assurer cette liberté ? Rien. » — M. Thureau-Dangin applaudit à ce langage, ai-je besoin de le dire ? Il déplore que le gouvernement de Juillet ait négligé le vrai remède contre le socialisme. « Le remède ne pouvait être que dans le retour à la religion ; seule elle pouvait vraiment redresser les esprits et pacifier les cœurs des prolétaires ; seule, elle pouvait donner à ces derniers les explications et les espérances qui leur rendaient la vie