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meilleur : d’abord il est le seul qui mette réellement aux prises les personnages principaux, qui crée entre eux plus qu’un débat de mots : un conflit de sentimens et de passions. Le prince, la princesse et de Horn avaient beaucoup parlé jusqu’ici ; nous les voyons enfin agir, et chacun selon sa nature. Et puis les deux scènes capitales de ce dernier acte, la seconde surtout, entre de Horn et d’Aurec, nous plaisent par un grand air d’impartialité, par la leçon qu’elles donnent, cruelle, mais équitable, par une égale distribution, entre deux tristes personnages, de vilenie et de honte. Laissons la princesse, et qu’il lui soit pardonné : capable de s’endetter en Israël, elle ne va pas jusqu’à se libérer de la façon qu’on pouvait craindre. Mais le prince et le baron se valent tous deux, et M. Lavedan a raison de faire souffleter ici l’une par l’autre la finance juive qui achète et la noblesse chrétienne qui se vend. Honnies soient et honnies également les deux parties en ces répugnantes affaires. Pour 130,000 francs, un prince d’Aurec a livré à un baron de Horn l’épée de son ancêtre le connétable. En quelles mains elle tombe, l’arme glorieuse ! Mais aussi de quelles mains ! On a vu où la traînait le petit-fils : dans les mascarades, elle qui jadis avait brillé en d’autres fêtes. Oh ! quand ces fêtes-là reviendront, je n’en doute pas, ils en seront, et des premiers peut-être, ceux que La Bruyère appelait les grands. Le prince d’Aurec lui-même n’y manquera pas. Je me ferai tuer, dit-il à la fin de la comédie. Mais derrière lui Montade réplique avec un sourire : « Pas plus que nous. » C’est vrai, nous ne leur avons même pas laissé ce privilège. Et puis la grande affaire, en ce monde, n’est peut-être pas tant d’être bien né ou de bien mourir, que de vivre bien.

La comédie de M. Lavedan frappe les grands qui vivent mal ; en gentilshommes peut-être, mais à peine en hommes ; en écuyers ou en jockeys, à moins que ce ne soit en palefreniers ou en clowns. Le bonhomme Poirier les connaissait déjà, et quand sa fille lui demandait où était son gendre, il répondait : « A l’écurie, parbleu ! Où veux-tu qu’il soit ? » Hélas ! parce qu’on ne mène plus la France, n’y a-t-il plus à mener que de grosses vilaines voitures à quatre chevaux ? Si l’on n’est plus aux honneurs, ne saurait-on être encore à l’honneur et à la peine ? Mais non ! M. Lavedan ne les calomnie pas : des grands seigneurs se déguisent et se maquillent ; n’ayant plus de rois, ils se font rois eux-mêmes, et de quel royaume ! De la mode inepte et du luxe imbécile ; ils décident d’un veston et protègent une coupe de cheveux ; ils décrètent des cravates, sanctionnent des gilets, et la grandeur de leur nom fait paraître encore davantage la petitesse et la vanité, quand ce n’est pas la honte, de leurs actions.

Contre ceux-là, M. Lavedan a raison, raison avec esprit toujours, parfois avec éloquence, bien que peut-être avec un peu d’âpreté et