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gnait l’imprévu ! Il n’en a rien été, ou, s’il y a eu un imprévu, ce n’est pas celui qu’on craignait. Du jour où M. Carnot a paru sur la terre lorraine, tout s’est passé avec une correction et une mesure singulièrement significatives. Il n’y a eu ni une jactance, ni une parole réellement dissonante ni un accident. Pas un mot n’a été prononcé qui ait pu inquiéter ou attrister le patriotisme le plus scrupuleux ou être un embarras pour M. le ministre des affaires étrangères. À deux pas de la frontière, sous le regard de la France attentive et sympathique, on n’a parlé que d’union, et, par une fortune heureuse, M. le président de la république a pu se croire encore à cette fin du dernier automne ou il faisait appel à tous les patriotismes, à toutes les bonnes volontés. Les fêtes de Nancy semblent se rattacher, à travers huit mois troublés et mal employés, à ces jours du lendemain de Cronstadt et des grandes manœuvres de l’Est, où la conciliation patriotique et la modération libérale étaient le mot d’ordre de tous les discours.

Rien assurément de plus simple et de plus expressif à la fois que ce voyage ou plutôt ce rapide passage de M. le président Carnot en terre lorraine. Il y a eu là pendant quarante-huit heures toute une population rassemblée pour voir le chef de l’État, pour saluer en lui le représentant le plus éminent de la France. Il y avait des maires, des industriels, des ouvriers de la terre et de l’usine, des soldats, des membres du clergé, des jeunes gens des universités étrangères mêlés aux étudians français. Il y a eu bien des discours. M. Mézières, M. Lavisse, ont parlé d’un accent vibrant à toute cette jeunesse universitaire, étrangère et française, réunie autour d’eux. M. le président de la république, harangué par tout le monde, a répondu à tout le monde, aux maires, aux chefs de l’armée, aux représentans du clergé, aux chefs d’industrie. Ils ont tous tenu le même langage ému et réfléchi, libre et mesuré. Non, sans doute, rien de ce qu’on craignait n’a troublé les cérémonies et la paix de ces deux journées du voyage présidentiel. Ces fêtes cependant ont été marquées par deux incidens qui n’étaient peut-être pas dans le programme et ne sont pas moins curieux, même assez significatifs. Le premier de ces incidens est le discours de M. l’évêque de Verdun, le second est le petit voyage que le grand-duc Constantin a fait de Contrexéville à Nancy pour saluer M. Carnot ; ils ont certes l’un et l’autre leur intérêt.

A dire vrai, les relations du gouvernement avec le clergé sont devenues depuis quelque temps si délicates ou si indéfinissables, que c’était peut-être une question de savoir ce que serait la première rencontre publique de M. Carnot avec les évêques. Elle devait être régulière et polie, ce n’était pas douteux ; elle pouvait aussi offrir quelques nuances. Que M. l’évêque de Nancy, Mgr  Turinaz, qui a été particulièrement frappé, ait mis un peu de réserve dans son attitude et dans son