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l’instruction, tous les examens ont été surchargés : il fallait bien « mettre dans les grades » que l’État exige et confère « plus de science que par le passé ; c’est ce qu’on fit partout où il sembla nécessaire[1]. » Naturellement, et par contagion, l’obligation d’un savoir plus grand descendit de l’enseignement supérieur dans l’enseignement secondaire. En effet, c’est depuis cette date qu’on voit la philosophie néo-kantienne, du plus haut de l’éther métaphysique, grêler sur la dernière classe des lycées et meurtrir à demeure des cerveaux de dix-sept ans ; c’est encore depuis cette date qu’on voit, dans la classe de mathématiques spéciales, la végétation épineuse des théorèmes compliqués pulluler et s’enchevêtrer avec un tel excès qu’aujourd’hui le candidat à l’École polytechnique doit posséder, pour y entrer, des théories que son père y apprenait une fois admis. — De là « les boîtes, fours, » internats privés, cours préparatoires laïques ou ecclésiastiques et autres « gaveuses scolaires ; » de là l’effort mécanique et prolongé pour introduire dans chaque éponge intellectuelle tout le liquide scientifique qu’elle peut contenir, pour l’en imbiber jusqu’à saturation, pour la maintenir en cet état de plénitude extrême, ne fût-ce que pendant les deux heures de l’examen, saut à la laisser ensuite se dégonfler incontinent, puis s’aplatir ; de là cet emploi erroné, cette dépense outrée, cette usure précoce de l’énergie mentale, et tout ce pernicieux régime qui opprime si longtemps la jeunesse, non pas au profit, mais au détriment de l’âge mûr.

Pour arriver jusqu’aux masses incultes, pour parler à l’intelligence et à l’imagination populaires, il faut des mots d’ordre absolus et simples ; en fait d’instruction primaire, le plus simple et le plus absolu est celui qui la promet et l’offre à tous les enfans, filles et garçons, non-seulement universelle, mais encore complète et gratuite. À cet effet, de 1878 à 1891[2], l’État a dépensé en constructions et installations scolaires 582 millions ; en salaires et autres frais, il fournit cette année-ci 131 millions. Quelqu’un

  1. Liard, ibid., p. 77.
  2. Ces chiffres ont été recueillis aux bureaux de la direction de l’instruction primaire. — Le total de 582 millions se compose de 241 millions fournis directement par l’État, de 28 millions fournis par les départemens, et de 312 millions fournis par les communes : les communes et les départemens, étant en France des appendices de l’État, ne souscrivent qu’avec sa permission et sous son impulsion ; c’est pourquoi, en réalité, les trois contributions n’en font qu’une. — Cf. Turlin, Organisation financière et budget de l’Instruction primaire, 1889, p. 61. (Dans cette étude, la comptabilité est établie un peu autrement : certaines dépenses de premier établissement, étant fournies par des annuités, sont transportées dans les dépenses annuelles) : « Du 1er juin 1878 au 31 décembre 1887, dépenses d’installation première, 528 millions ; dépenses ordinaires en 1887, 173 millions. »