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considérée comme inférieure, et d’en porter les insignes. Il leur aurait été facile de copier les modes des grandes dames, ainsi que leurs petites-filles n’ont pas manqué de le faire. Elles s’en gardaient comme d’une faute de goût, grâce à un heureux instinct qui leur faisait aimer les existences harmonieuses, sans disparates ni disconvenances. Satisfaites de la place où le sort les avait mises, on n’aurait pas trouvé trace chez elles de la sottise et des ridicules dont l’invasion de parvenus vaniteux infecte aujourd’hui la bourgeoisie, et dont les plus vieilles familles ne savent pas toujours se préserver.

Les Textor avaient eu sept enfans, dont Elisabeth, née le 19 février 1731, qui a été la mère de Goethe. Elisabeth était une jolie fille vive et rieuse, qui respirait la santé et la bonne humeur. Elle avait la tête pleine de chansons, de contes qu’elle disait à ravir, de mots drôles qui ne demandaient qu’à partir, et d’idées très sages de petite personne pratique. Ses grands yeux bruns étincelaient. Son front était bien développé. Le nez manquait un peu de style, mais il était si gai ! La bouche un peu trop grande avait tant d’esprit ! Il est rare de rencontrer une physionomie aussi heureuse, reflétant avec autant de vivacité la joie d’être au monde et l’épanouissement d’une âme jeune et naïve, qui ne pense que du bien de la vie et des hommes. Le milieu correct où elle était élevée n’avait pu lui ôter une pointe très marquée d’originalité, et elle était venue au monde avec des goûts littéraires qui lui faisaient trouver l’atmosphère de la maison paternelle étouffante. Il est certain que les idées sentaient le renfermé dans la chambre boisée du vieux Textor, parmi ses vénérables bouquins, tous arriérés ; et les mœurs voulaient que cette science moisie fût encore trop bonne pour les filles.

On leur donnait alors, dans les classes moyennes, une éducation élémentaire. Elles apprenaient la lecture et l’écriture, un peu de grammaire, la musique et la danse. Le reste du temps appartenait aux travaux de ménage, qui étaient une bien plus grande affaire que maintenant. On trouve encore aujourd’hui, au fond de nos provinces, des maîtresses de maison qui possèdent par héritage toutes sortes de recettes pour faire difficilement les choses faciles. Les ménagères de Francfort étaient riches en recettes de ce genre, au siècle dernier, et voyaient de mauvais œil les personnes enclines à simplifier les rites sacrés de la lessive ou du beurre salé. Elles en étaient choquées comme d’un manque de piété envers les aïeules. Elisabeth Textor n’eut pas à espérer l’approbation du public féminin, quand on la vit dérober du temps à l’office et à la lingerie pour l’employer à des lectures. Ses sœurs la