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n’existera pas du tout ; et les autres sciences qui se rattachent à elle cesseront d’avoir la moindre clarté.

Auguste Comte, poursuivant les conséquences qui dérivent, selon lui, de la méthode psychologique d’observation intérieure, affirme qu’une telle méthode exclut absolument toute étude des facultés mentales des animaux.

Où voit-on que Jouffroy ait jeté une telle interdiction sur la psychologie animale ? Il y a là une méprise sur le sens essentiel de la théorie de Jouffroy. Ce que celui-ci a voulu établir et ce qu’il a établi magistralement, c’est qu’il y a des faits subjectifs, et que ces faits sont essentiellement distincts des faits objectifs ou physiologiques auxquels ils sont nécessairement unis : la psychologie a donc un objet propre qui la sépare de la physiologie. Maintenant, que ces faits subjectifs se passent chez les autres hommes, au lieu de se passer en nous, chez les animaux au lieu de se passer chez les hommes, ce n’en sont pas moins des faits subjectifs qui relèvent de la psychologie et non de la physiologie. Mais, dit-on, les animaux ne peuvent pas s’observer eux-mêmes. Il n’y aura donc point de psychologie animale, si la méthode d’observation intérieure est la seule méthode psychologique. Mais Jouffroy, en signalant la méthode d’observation intérieure comme la principale, n’a nullement exclu la méthode d’observation indirecte, à savoir celle qui s’exerce sur les autres, et qui par induction conclut des signes ou des actes extérieurs aux faits mentaux qu’ils expriment. L’une de ces méthodes n’exclut pas l’autre. De ce que je m’étudie moi-même, s’ensuit-il que je ne puisse pas chercher à deviner ce qui se passe dans la pensée d’autrui ? Cela n’est pas plus interdit au philosophe qu’aux autres hommes, et cette double étude a lieu tous les jours chez tous les hommes. Si donc Jouffroy a parlé surtout de l’observation intérieure et subjective, c’est qu’il avait à déterminer le caractère essentiel et propre de la psychologie, à savoir le caractère subjectif ; de même que Claude Bernard, lorsqu’il a essayé de déterminer le caractère expérimental de la physiologie, n’a parlé que de l’expérimentation ; mais il n’a pas exclu par là ni la méthode comparative, ni la méthode d’anatomie pathologique. De même Jouffroy a mis en relief le rôle de l’observation intérieure, parce que c’était le point essentiel à établir ; mais il n’a rien nié ; et si on lui eût parlé de cette méthode objective indirecte, il eût répondu infailliblement qu’elle était un corollaire et une contre épreuve de l’observation intérieure. En fait, les psychologues n’ont jamais ignoré cette méthode d’observation par le dehors. Les Écossais, les maîtres de Jouffroy, s’en sont beaucoup servis. Dans la Philosophie de l’esprit humain, de D. Stewart, le troisième volume est