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étrangères l’une à l’autre. Elles doivent se prêter des secours mutuels, et s’il y a un reproche à leur faire, c’est de n’avoir pas été jusqu’ici aussi sœurs qu’il est nécessaire à chacune d’elles qu’elles le soient[1]. »

Il n’est donc point question de séparation et d’isolement. Un seul point à débattre est de savoir, non s’il doit y avoir une psychologie physiologique, mais si celle-ci doit remplacer l’autre. On cherche aujourd’hui les prodromes physiologiques de l’attention ; mais le ferait-on, si la psychologie ne nous avait appris qu’il y a une faculté appelée attention, et si l’analyse de cette faculté n’avait provoqué plusieurs problèmes ? Par exemple, on distingue une attention volontaire et une attention involontaire, comme si ce n’était pas là une distinction psychologique, que la physiologie pure n’aurait jamais pu découvrir. On cherche l’origine du moi dans la résultante des fonctions du cerveau. Vraie ou fausse, cette théorie serait-elle née, si la psychologie n’avait fourni la notion du moi et sa distinction d’avec le non-moi ? On cherche la localisation des facultés ; mais le ferait-on si l’on ne connaissait pas les facultés elles-mêmes ? Il est donc certain que l’on ne peut étudier les facultés de l’esprit dans leurs organes, avant de les étudier en elles-mêmes, sauf ensuite à les rattacher par voie de concomitance à leurs corrélatifs organiques, laissant d’ailleurs à une science plus haute, la métaphysique, la question de savoir si ces corrélatifs sont, ou non, la véritable substance de l’esprit. Voilà le vrai système scientifique que l’on ne repousse que par des idées préconçues.

Examinons maintenant la seconde règle d’Auguste Comte : étudier les facultés humaines non elles-mêmes, mais dans leurs résultats. Par exemple, c’est en regardant agir les animaux, les fous, les sauvages, les enfans, et je suppose bien aussi un peu l’homme adulte et sain, que l’on connaîtra les facultés intellectuelles et morales de l’espèce humaine. C’est toujours le même malentendu. Que l’observation objective soit nécessaire pour confirmer, contrôler, rectifier, développer les conclusions obtenues déjà par la méthode subjective, c’est ce qui est aujourd’hui universellement accordé ; mais que par elle-même, et réduite à elle seule, elle soit incapable de donner aucun résultat, c’est ce qui est évident. En effet, ce que nous voyons des facultés humaines par le dehors, ce ne sont pas les faits eux-mêmes, à savoir les pensées, les volitions et les passions ; ce sont leurs signes externes. Or, ces signes doivent être interprétés ; ils n’ont aucune valeur, si ce n’est par comparaison avec les signes qui accompagnent d’ordinaire nos propres

  1. Nouveaux Mélanges philosophiques, p. 208.