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anniversaires du prélat, et faisait exécuter sous sa direction d’exquises recettes qu’il avait apportées de Provence. Si troublés que fussent les temps, les relations de commerce n’étaient pas suspendues entre la France et l’Italie. Les produits du Comtat, au dire d’un témoin oculaire, abondaient sur la table épiscopale : truffes de Carpentras, olives de Villedieu, jambons de Valréas, vin de Châteauneuf, poulardes de la Bartelasse, huile de Barbentane. Le cardinal vivait gaîment avec ses amis, s’occupait de l’administration de son petit diocèse, et donnait parfois l’hospitalité aux étrangers de marque qui voyageaient sur la route de Rome. Quatre années s’écoulèrent doucement ainsi, faisant un singulier contraste avec la vie fiévreuse de Paris et les agitations de l’Assemblée constituante.


III

L’admirable campagne de 1798-1797, qui rendit l’armée française maîtresse de l’Italie du Nord, eut son contre-coup à Rome. Le traité de Tolentino avait rétabli la paix entre le Directoire et le saint-siège ; mais les passions fermentaient dans la ville éternelle. Des manifestations populaires en faveur de la république avaient lieu devant le palais de Joseph Bonaparte, ministre de France. Le général Duphot, voulant un jour empêcher l’effusion du sang, s’élança entre les manifestans et les troupes pontificales, fut entraîné par celles-ci et massacré. En vain, le saint-siège offrit toutes les satisfactions, Joseph Bonaparte se retira en Toscane et quelques jours après, une armée française marchait sur Rome sous les ordres du général Berthier. Le peuple ouvrit lui-même les portes de la ville et lit un accueil enthousiaste au futur prince de Neuchâtel et de Wagram. Sur l’ordre du Directoire, Pie VI, invité à quitter ses États, se retirait à Sienne.

Le Directoire n’avait pas oublié Maury. Berthier avait reçu l’ordre de l’arrêter. Les dragons chargés de s’emparer de sa personne arrivèrent à Montefiascone quelques heures trop tard. Avisé secrètement du sort qui l’attendait, il s’était enfui en Toscane. Mais sa présence étant signalée au ministre de France, le grand-duc le fit échapper. On lui donna un passeport où il était désigné comme domestique d’un courrier de cabinet, envoyé par le gouvernement grand-ducal à Vienne. Le cardinal s’arrêta à Venise dont le traité de Campo-Formio venait de faire une ville autrichienne. Il y resta, malgré l’invitation du tsar Paul, qui l’engageait à se rendre en Russie, où il aurait trouvé le comte de Provence, alors réfugié à Mittau. C’est à cette occasion et à cette