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titulaire, le trône, qui est « la clef de voûte sociale. » Sous sa plume, le retour de l’île d’Elbe devient « le dernier cri d’un délire isolé. » Aucune réponse ne lut faite à cette lettre, sinon, que son auteur fut chassé par le roi de cette Académie française, dont il avait été deux fois nommé membre. Louis XVIII ne pardonna pas à Maury. Les souvenirs de 1804 étaient trop amers. Il avait bien pardonné à Talleyrand, à Fouché lui-même, Fouché le régicide, et à bien d’autres. Mais ces hommes avaient favorisé son retour, ils le servaient, et après tout, ils ne l’avaient pas trahi lui-même. Les sages de la Chine, — seul pays du monde où l’on se soit avisé de poser des règles de morale pour le cas de changement de gouvernement, — professent que, lorsqu’une dynastie a donné.des signes manifestes d’indignité ou de.décrépitude, les sujets sont dégagés par cela même du lien de fidélité et ne manquent à aucun devoir en se mettant au service d’un nouveau maître. Ils ne font d’exception que pour les hommes qui ont été attachés à la personne même du souverain déchu. « Ceux-ci, lui doivent être toujours fidèles, si méritée que puisse être sa déchéance. C’est à ce précepte qu’avait manqué Maury. Le ressentiment de Louis XVIII était naturel, son irritation légitime. Mais n’était-ce pas pousser bien loin la rancune que de poursuivre jusque par-delà la mort le serviteur infidèle ? C’est pourtant ce qui eut lieu.

Le mal contracté au château Saint-Ange n’avait jamais complètement disparu. Bien que le cardinal fût en état de travailler, — il écrivit même alors une longue étude sur les libertés de l’Église gallicane, où il se vantait d’avoir « éventré » le sujet « effleuré » seulement par Bossuet, — sa robuste constitution avait été profondément atteinte. Au printemps de 1817, son état s’aggrava tout à coup, et il mourut brusquement dans la nuit du 10 au 11 mai. L’ambassade de France s’acharna contre sa dépouille. Non-seulement elle lui refusa les honneurs d’une cérémonie dans l’Église nationale de Saint-Louis-des-Français, mais elle ne permit pas non plus que les obsèques eussent lieu à la Trinité-des-Monts, église française fondée par Charles VIII, dont il était le cardinal titulaire. Sur l’ordre du pape, les funérailles furent célébrées à Santa-Maria in Vallicella. Mais après que les chants eurent cessé, après que les cierges furent éteints, le corps resta abandonné dans l’église, attendant une sépulture. Il attendit trente-huit jours. On lui ouvrit enfin un caveau, à la prière du chanoine Maury frère du défunt.

Si, comme certains semblent le penser aujourd’hui, le principal attrait de la vie est le spectacle de la vie elle-même, les hommes nés avec Maury, autour de 1750, ont joui d’une faveur spéciale de la fortune. Ils ont vu l’ancien régime ; ils ont pu mener cette