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du rapport est assez difficile à exprimer d’un seul mot, — tandis que l’auteur des Pensées avait essayé de réduire à la religion toute la morale et toute la philosophie ; tandis que l’auteur de l’Éthique avait séparé de la religion, mais en continuant de les confondre toutes les deux ensemble, la morale et la philosophie ; celui-ci, l’auteur du Dictionnaire, prétend séparer la morale de la religion et de la philosophie. Écoutons-le raisonner là-dessus.

Toute religion, quelle qu’elle soit, repose, comme sur un trépied, sur un ensemble d’observances, de dogmes, et de traditions. Passons rapidement sur les observances. En tant qu’elles sont extérieures, elles ne signifient rien. « Car, si nous concevons qu’un roi ne regarderait point comme un hommage lait à sa personne, par des statues, la situation où le vent les ferait par hasard tomber lorsqu’il passerait, ou bien la situation à genoux dans laquelle on mettrait des marionnettes, à plus forte raison doit-on croire que Dieu, qui juge sûrement de toutes choses, ne compte point pour un acte de soumission et de culte ce qu’on ne fait pour lui qu’extérieurement. » Mais, en tant qu’elles sont conservatoires du fond, les observances valent ce que vaut le dogme même dont elles sont une conséquence, une manifestation, ou un symbole. Or les dogmes sont contradictoires à ce que la raison de l’homme tient justement pour le plus assuré. Par exemple : « Il est évident que les choses qui ne sont pas différentes d’une troisième ne diffèrent point entre elles ; c’eut la base de tous nos raisonnemens, c’est sur cela que nous fondons tous nos syllogismes, et néanmoins la révélation du mystère de la Trinité nous assure que cet axiome est faux. Inventez tant de distinctions qu’il vous plaira, vous ne montrerez jamais que cette maxime ne soit pas démentie par ce grand mystère. » Ce dogme est-il trop métaphysique, peut-être ? Encore est-il vrai qu’il fut l’un des fondemens du christianisme, et que depuis Arius, on est hérétique, on est anathème, si l’on discute seulement la définition que l’Église en donne. Prenons cependant un dogme plus concret, et conséquemment plus moral. Par exemple : « Il est évident qu’on doit empêcher le mal si l’on le peut ; et cependant notre théologie nous enseigne que Dieu ne fait rien qui ne soit digne de ses perfections, lorsqu’il souffre tous les désordres qui sont au monde, et qu’il lui était facile de prévenir. » Selon l’expression de l’Église, le dogme nous est donc donné pour nous être une occasion de scandale, et, celui-là seul étant vraiment chrétien qui n’y succombe pas, notre premier devoir est ainsi d’abdiquer notre raison entre les mains de la théologie. Mais la théologie, sur quoi se fonde-t-elle ? Sur la tradition et sur l’autorité, c’est-à-dire sur ce que Bayle se charge de montrer qu’il y a de moins solide au monde et de plus changeant. Car en combien de