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salaires gagnés par elles, et ils nous ont appris que 373 d’entre elles gagnaient moins de 500 francs par an avec une moyenne de 86 jours de chômage. Ce sont les ouvrières de la plus humble catégorie, travaillant au hasard des rencontres, ce qui ne les rend pas pour cela moins à plaindre ni moins intéressantes, mais ce qui explique la modicité de leur gain annuel. 1,212 gagnaient de 500 à 750 francs avec une moyenne de 58 jours de chômage, et 2,121 gagnaient de 750 à 1,000 francs avec 47 jours de chômage. Comme on peut le voir par ces chiffres, ce qui diminue le gain annuel de ces femmes, c’est moins la modicité du salaire que le chômage habituel ou fréquent. Mais le salaire en lui-même, pour chaque jour de travail, reste relativement assez élevé. En effet, nous allons voir croître le gain avec la réduction du chômage. 6,024 femmes gagnaient de 1,000 à 1,500 francs avec une moyenne de 37 à 31 jours de chômage. 3,383 gagnaient de 1,500 à 2,000 francs avec 26 à 24 jours de chômage. 1,124 gagnaient de 2,000 à 2,500 avec 22 à 18 jours de chômage. Enfin 537 gagnaient plus de 2,500 francs avec 14 jours en moyenne de chômage.

Ces chiffres détaillés ne font que confirmer ce que je disais tout à l’heure que les salaires des femmes sont très élevés aux États-Unis par rapport à la France. Mais ce n’est là cependant qu’un des aspects de la question. En effet, le taux du salaire n’est qu’un des facteurs de la condition industrielle des travailleurs manuels ; l’autre facteur est le prix des objets de première nécessité. Il importerait assez peu que le taux du salaire fût élevé, si le prix des objets de première nécessité l’était davantage encore. Il est donc nécessaire de déterminer ce que les économistes appellent le pouvoir d’achat de salaire, car c’est ce pouvoir d’achat qui détermine à son tour la condition véritable des travailleurs. La statistique américaine a bien compris cette nécessité. A la vérité, elle n’a pas essayé d’établir, comme l’avait fait autrefois dans une enquête malheureusement trop restreinte et trop ancienne la société industrielle de Mulhouse, comme j’ai essayé de le faire moi-même pour la ville de Paris, le coût des denrées nécessaires à la vie et du logement. Elle a procédé d’une façon différente. Elle a (toujours en s’inspirant de la méthode de M. Le Play) dressé le budget sommaire de chaque ouvrière dans chaque profession, et elle a cherché à établir quelle part de son salaire était absorbée par le logement, la nourriture, le vêtement, quelle part enfin restait disponible pour l’économie ou le plaisir.

L’enquête a porté sur 343 professions et sur 5,716 ouvrières seulement, le nombre des ouvrières assez intelligentes et assez ordonnées pour être en mesure de rendre un compte exact de leurs recettes et de leurs dépenses étant forcément assez restreint. Les dépenses sont