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fut appelé « grand conseil, » ou aussi conseil étroit, ou privé, ou secret conseil ; car, en vérité, les dénominations n’étaient pas moins changeantes et confuses que les formes de l’institution et ses attributions multiples. Enumérer ces attributions si mal définies, essayer de déterminer ces compétences indécises, serait une tâche assez vaine. Cela est malaisé même pour la juridiction administrative d’aujourd’hui (si malaisé que le législateur, spécialement en 1845, a reculé devant cette entreprise). On peut du moins, dès les origines du conseil d’État de l’ancienne monarchie, reconnaître deux grandes fonctions, qu’il a conservées dans des proportions variables jusqu’à ce jour.

Il y avait d’abord la double série des attributions administratives et législatives. Pour être exact, je devrais les ranger en deux groupes. Mais comment établir la limite incertaine qui séparait les unes et les autres ? Car les mesures d’administration générale ne se distinguaient pas, comme aujourd’hui, nettement en deux catégories, émanant, l’une des assemblées représentatives de la nation, — ce sont les lois ; l’autre, du pouvoir exécutif, — ce sont les décrets. En réalité, le pouvoir qui administrait était le même qui légiférait ; et ce pouvoir unique, c’était le roi en son conseil. Il y eut bien les états-généraux ; mais ces assemblées extraordinaires et éphémères, convoquées à de longs intervalles, sans périodicité, ne participaient qu’accidentellement à l’œuvre législative. Le roi était censé l’auteur des édits et des ordonnances ; — les édits, qui avaient plutôt le caractère de nos décrets ; les ordonnances, qui correspondaient à nos lois. Ces ordonnances, d’ailleurs, comprenaient les matières les plus dissemblables. On y trouve, à côté de dispositions éminemment législatives, des prescriptions complémentaires et ces détails d’application que le législateur, de nos jours, laisse au gouvernement le soin de régler. Telles sont, au XVIe siècle, les célèbres ordonnances de Villers-Cotterets, d’Orléans, de Moulins, élaborées par le conseil du roi, et, sous Louis XIV, les ordonnances réformatrices sur la procédure, sur les eaux et forêts, sur le commerce, qui ont été proprement les codes de l’ancienne monarchie.

Ainsi, durant cinq ou six siècles, nous voyons le conseil d’État investi seul du double pouvoir de faire les lois et ce que nous appelons les décrets. Il est l’unique législateur. Il est le constructeur et le régulateur de cette formidable machine, toujours plus compliquée : l’administration française. Il est aussi le juge suprême.

Il l’est d’abord pour les litiges où cette administration est en cause, et qui, par suite, sont affaires d’État, en sorte que les juger est, par excellence, un droit régalien ; or jamais roi de