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Enfin ses adversaires visaient la base de son institution. La charte, disaient-ils, ne l’a pas mentionné, et, d’autre part, aucune loi ne le consacre. Il n’existe pas légalement ! — Le lait est que, depuis 1815, il n’était régi que par des ordonnances ; situation fausse qui a duré trente ans, et qui fut un sujet inépuisable de polémiques.

Les uns accusaient ce pauvre conseil, si amoindri pourtant et si inoffensif, d’être « une espèce d’usurpation » et une menace pour la liberté ; les autres, comme M. Dupont de l’Eure, décidaient que la dépense en devait être rayée du budget et laissée à la charge de la liste civile. La plupart distinguaient entre le conseil d’État, conseil du prince, et le conseil d’État, pouvoir juridictionnel. Ils concédaient au premier une situation régulière qu’ils déniaient au second. Ils raisonnaient ainsi : le roi est maître de choisir ses conseillers ; des ordonnances y peuvent suffire ; mais pour l’établissement d’une juridiction il faut l’investiture de la loi[1]. — Une école s’était formée qui voulait retirer au conseil l’attribution contentieuse pour la confier à une cour de justice administrative. Dès 1818, M. de Cormenin, alors maître des requêtes, et qui n’était encore qu’à sa première métamorphose, écrivait : « La juridiction du conseil d’État est inconstitutionnelle. » M. de Cormenin concluait à la création d’un tribunal spécial et supérieur, distinct du conseil et indépendant des ministres, ses membres étant inamovibles[2]. A dix ans de là, un très savant juriste, M. Macarel, avec moins d’éloquence, mais non pas moins d’autorité, reprenait la même thèse[3]. Cependant, à côté, une autre école, allant plus loin, répudiait radicalement le principe de la juridiction administrative. Pourquoi deux justices ? Tout renvoyer en bloc aux magistrats civils, les différends d’ordre public au même titre que les autres, était la panacée de ces théoriciens : formule extravagante et irréalisable, mais simple et séduisante, comme sont presque toujours les formules chimériques.

Entre ces deux systèmes opposés, dont l’un tendait à séparer plus nettement les deux domaines, l’autre, au contraire, à les réunir et à les confondre, une opinion de juste milieu se dessinait et semblait prévaloir, qui proposait de déplacer et de rectifier la ligne de démarcation, au lieu de l’abolir. Il s’agissait de

  1. Voir spécialement les séances de la chambre des députés du 23 mars 1818 et du 27 mai 1819 : discours du comte Roy et du baron Cuvier (le grand naturaliste, qui fut conseiller d’État et vice-président du comité de l’intérieur).
  2. Du Conseil d’État envisagé comme conseil et comme juridiction dans notre monarchie constitutionnelle. Anonyme, 1818.
  3. Des Tribunaux administratifs, ou introduction à l’étude de la jurisprudence administrative, 1828.