Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 112.djvu/81

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chrétiennes qui sont si nombreuses aux États-Unis, épiscopale, méthodiste, baptiste ou autre, on y reçoit cependant des jeunes filles qui n’appartiennent pas à la secte. Ainsi font même les couvens catholiques, et le rapporteur rend plus d’une fois hommage en passant au large esprit de tolérance qui les anime, ainsi qu’à la supériorité de leur installation matérielle.

Si je suis entré dans quelques détails sur cette institution des boarding houses américains, c’est que notre pays y peut trouver un exemple utile à suivre. Il faut reconnaître que sur ce point de la protection morale des jeunes ouvrières, la charité française est en retard. Cependant elle commence à s’en inquiéter. L’intelligente initiative de certaines congrégations religieuses s’est émue de la situation périlleuse que crée souvent à la jeune ouvrière sa solitude sur le pavé de Paris, la nécessité de loger en garni avant qu’elle ait pu se procurer un petit mobilier et payer un trimestre de loyer d’avance, enfin l’obligation où elle se trouve de chercher sa nourriture quotidienne dans des restaurans de bas étage, traiteurs et crémiers qui lui font payer fort cher des plats malsains et du vin frelaté. Ces congrégations ont ouvert dans Paris un certain nombre de patronages externes où les jeunes filles qui travaillent dans les magasins et les ateliers peuvent trouver un abri pour la nuit, prendre le petit déjeuner du matin, le repas du soir, et passer les dimanches. Mais reste toujours le repas de midi, le principal dans la vie laborieuse. Et puis cette existence un peu claustrale du patronage, le dortoir, la vie en commun ne conviennent pas toujours à la jeune ouvrière parisienne. Elle aime bien, quand elle le peut, avoir sa chambre, ses petits meubles, et sa liberté. Mais au moins qu’elle puisse manger dans un endroit décent, où elle ne sera pas exposée, pendant qu’elle avale à la hâte son maigre repas, à s’entendre débiter des galanteries grossières. Qu’elle cesse d’être exploitée par des traiteurs indignes qui refusent de lui servir un déjeuner au-dessous d’un certain prix qu’elle ne peut pas atteindre, sachant qu’un consommateur galant se trouvera là tout à point pour lui offrir de payer la différence. Ici la charité veille encore, mais depuis bien peu de temps. Qui connaît déjà dans Paris l’œuvre des restaurans-bibliothèques ? Elle a pour principal fondateur un jésuite éminent (mon Dieu, oui, un jésuite), qui, après avoir façonné à la vie plusieurs générations successives de futurs officiers, ne dédaigne pas d’appliquer aujourd’hui ses hautes facultés à cette œuvre en apparence si modeste, en réalité si féconde en résultats pour pou que la charité publique veuille bien en comprendre l’intérêt et l’utilité. L’œuvre a déjà créé en plein Paris élégant, à quelques pas de ces grands magasins de la rue de la Paix où on voit