Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 112.djvu/827

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

arrêt ; mais s’étant convaincue « qu’après le paiement des frais et charges il ne restait que peu de chose ou rien du tout, elle se désista de son opposition et de toutes ses prétentions. » Héritage réellement misérable et à propos duquel Colerus pouvait bien écrire « qu’il ne faut que jeter les yeux sur le compte de la vente, pour juger aussitôt que c’était l’inventaire d’un vrai philosophe. » Et il ajoutait : « On n’y trouve que quelques livrets, quelques tailles-douces ou estampes, quelques morceaux de verre polis, des instrumens pour les polir, etc. »

Ainsi, chose singulière ! Colerus qui avait eu le compte de vente sous les yeux et qui a poussé la minutie jusqu’à relater les prix de quelques-uns des objets adjugés[1], Colerus ne fait aucune mention des livres qui composaient la bibliothèque de Spinoza et que la Gazette de Harlem elle-même avait annoncés. M. Servaas s’en étonne, et on est d’abord porté à s’en étonner avec lui.

Colerus n’est point, en effet, un biographe ordinaire. Bien que par conviction et par état il se déclare hostile, de tous points, aux doctrines de Spinoza, il ne peut s’empêcher d’éprouver une véritable affection pour sa personne, et c’est, en définitive, par sympathie qu’il a entrepris d’écrire la vie de celui qu’il appelle « ce malheureux homme. » Cette sympathie s’étend même à tout ce qui touche Spinoza. C’est ainsi qu’on l’entend se féliciter d’habiter sur le Veerkay, chez la veuve Van Velden, la chambre même qu’avait d’abord occupée, lors de son installation à La Haye, l’auteur du Tractatus theologico-politicus. De même il s’applaudit d’avoir « en sa possession un livre entier de portraits que Spinoza avait faits de personnes distinguées, » et c’est avec une complaisance marquée qu’il décrit celui où le philosophe s’était représenté lui-même sous le costume d’un pêcheur napolitain qu’il croit être Masaniello. Dès lors, comment expliquer qu’il ne dise mot des livres laissés par Spinoza et qui auraient dû, ce semble, avoir pour lui plus de prix que des gravures ou des crayons ? M. Servaas suppose qu’en jetant sur l’inventaire un regard distrait, Colerus aura étourdiment confondu les livres avec les livrets dont il parie et qui ne contenaient peut-être que des notes de menues dépenses. Supposition gratuite, et, pour peu qu’on y réfléchisse, complètement inadmissible ! M. Servaas, en effet, ne remarque pas que, si Colerus a vu le compte de vente, il ne s’ensuit nullement que ni le

  1. « Un manteau de camelot avec une culotte furent vendus 21 florins 14 sous ; un autre manteau gris, 12 florins 14 sous ; quatre linceuls, 6 florins et 8 sous ; sept chemises, 9 florins et 6 sous ; un lit et un traversin, 16 florins ; dix-neuf collets, 1 florin 11 sous ; cinq mouchoirs, 12 sous ; deux rideaux rouges, une courtepointe et une petite couverture délit, 6 florins ; son orfèvrerie consistait en deux boucles d’argent qui furent vendues 2 florins.