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Le Palvan-Ata-harik aurait été creusé par Palvan-Ata et le tombeau de ce personnage à demi fabuleux se trouve sur une éminence non loin de Khiva. Mais les traditions précises semblent s’être perdues.

C’est un immense fossé très profond et très large qui dut demander, lors de sa création, des milliers de travailleurs, et qui est, chaque année, au printemps, entretenu avec grand soin. Voici comment on procède. Une digue empêchant l’écoulement de l’eau du fleuve, la partie mise à sec est nettoyée par les riverains. Tout homme valide doit deux jours de travail et quand on ne peut utiliser tous les travailleurs, on exige d’eux une taxe de 50 kopeks (1 fr. 75) par jour et par individu. Le curage se fait avec quelque solennité. Le khan vient lui-même inspecter les travaux. L’année 1889, le khan quitta la capitale le 15 mars et fit jeter dans l’harik comme don au fleuve neuf bœufs. Les indigènes se jetèrent aussitôt à l’eau pour retirer les animaux, qu’ils dépecèrent. En se bousculant à cette « curée, » un homme fut tué.

Ils sont jolis, ces paysages khiviens contemplés de l’harik. Ici des mosquées avec un grand auvent soutenu par des piliers sculptés, là un fouillis d’arbres s’échappant au-dessus des murs d’un jardin ; peupliers au léger feuillage, saulins argentés, kara-agatch (ulmus campestris), étalant fièrement leurs branches comme un grand parasol, villages aux murs gris, calmes et paisibles, femmes aux robes rouges, à demi cachées sous un manteau et venant puiser l’eau.

Et la barque m’entraîne avec autant de rapidité, bien que la largeur du canal diminue lentement. Les bords sont garnis de champs cultivés, parsemés çà et là de petits hameaux, misérables demeures aux murs d’un gris jaunâtre, pauvres masures où vivent de pauvres habitans, au milieu de leurs champs de coton, de froment, d’orge. Comme les champs, se trouvant au-dessus du niveau du fleuve, ne peuvent recevoir l’eau par déversement, les indigènes ont, pour monter l’eau, des manèges mus par des chevaux ou des chameaux. Ces manèges se composent d’une grande roue verticale, garnie de pots de terre et nommée tchiguir.

Les animaux, au moyen d’un engrenage de roues, mettent l’appareil en mouvement, et l’eau se déverse des pots dans une auge et de là dans les fossés des champs. Une roue dans de bonnes conditions peut donner 2,000 védros (24,600 litres) et arroser par jour de 1 1/2 à 2 hectares de terre.

A la nuit, la barque s’arrête non loin des murs de Khiva. Le divan-bégui, premier ministre du khan, me donne l’hospitalité.