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fourrés s’espacent, les tiges deviennent moins hautes. Et la steppe garnie de roseaux s’étend de nouveau. Voici une hutte de feuillages.

— C’est la demeure d’un mollah ! me dit le djiguite. — Singulière et bien misérable habitation pour un homme de science qu’une pauvre hutte de roseaux et de branchages dont un pauvre ne se contenterait même pas. À l’approche de nos chevaux, une bande d’enfans demi nus en sort, puis vient un vieux, s’appuyant sur un bâton, un vieux à barbe blanche, une vraie figure de brigand.

— Qu’est-ce que cela, djiguite ?

— C’est une école (mekteb hanè) reprit-il.

J’étais abasourdi ! Mais oui ; le vieux enseignait les gamins des aouls voisins. Que pouvait-il bien enseigner, ce vieillard à tête de brigand ?

Il faut être courageux en voyage, et, risquant la vermine, prenant un air souriant pour m’attirer les sympathies du vieux, je pénétrai sous la cahute. Le matériel de cette école se compose d’un exemplaire du Coran traînant dans un coin, d’un rouleau de papier sale et de deux kalems (roseaux pour écrire).

O simplicité ! Ce qui ne laisse rien à désirer, c’est l’aération. On voit le ciel à travers les branches. L’enfant ne reste auprès du maître que pendant quelques mois et il n’apprend guère que ses prières.

Les enfans des nomades sont, en général, moins instruits que ceux des sédentaires, car, le mollah ou maître d’école ne suivant pas les tentes dans leurs déplacemens, l’enfant ne peut aller à l’école. Ce n’est que l’hiver, pendant que le troupeau ne voyage point, que l’enfant va à l’école et que l’influence religieuse se fait sentir dans la tente. Aussi les nomades sont-ils beaucoup moins fanatiques et voient d’un mauvais œil le mollah venir dans l’aoul, car il n’y vient que pour demander l’aumône.

— Koungrad n’est pas loin ! me dit en partant le vieux mollah. Que de longues verstes il nous faut encore parcourir avant d’y parvenir !

La steppe garnie de roseaux cesse. Voici les monts Koubé-Tao, collines argileuses moins importantes que celles de Kouch-Kanata[1]. Puis l’on coupe les oasis entourant Koungrad. Depuis quelques jours, une crue s’est produite. Nous sommes en juillet, les hariks ont débordé, les routes sont pleines d’eau et les champs

  1. La longueur du Koubé-Tao est de 3 verstes 1/2 ; la largeur, 3 verstes (Lentz, Société russe de géographie, 1881).