Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 113.djvu/141

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

valeur. Mais elles n’étaient guère encourageantes[1]. Ici, l’on démontrait clair comme le jour que la situation n’a pas subi la moindre altération, et qu’il n’y a pas signe d’un accroissement quelconque de la précipitation pluviale ; ailleurs, dans le Kansas, l’Université et le Collège d’agriculture confessaient piteusement que la quantité de pluie décroît au lieu d’augmenter. Encore faut-il noter que les stations météorologiques dont il s’agit se trouvent déjà à quelque distance de la région sèche des plaines ; mais ceci ne pouvait consoler le moins du monde les immigrans, qui voyaient trop clairement leur malheur. Des âmes bien intentionnées leur dirent alors qu’il était impossible que leurs efforts fussent stériles, et qu’à coup sûr leurs tentatives de culture devaient finir par augmenter la pluie.

Ceux des immigrans qui avaient quelque lecture répondirent que la culture de la vallée du Nil, — qui ne date pas d’hier, pourtant, — n’a point, à leur connaissance du moins, notablement augmenté le régime des pluies, et que, sans les inondations périodiques du fleuve géant, les Égyptiens seraient fort en peine de récolter le moindre légume, malgré leurs efforts et ceux des générations qui ont échappé aux dix plaies. Ils ajoutaient qu’ils étaient d’ailleurs tout prêts à se contenter du Nil, si le gouvernement voulait bien le mettre à portée raisonnable. D’autres firent encore remarquer que les pays du vieux monde, comme la France, l’Espagne, l’Italie, dont le sol a été cent fois tourné et retourné, — si bien qu’il est presque épuisé, et se refuse à produire si l’on ne lui prodigue l’élixir de vie, les engrais les plus variés, — ont si peu vu s’accroître leur régime des pluies que l’irrigation va chaque jour se développant, ce qui prouve clairement qu’il ne suffit pas de s’établir dans un pays et d’y travailler pour appeler sur celui-ci les eaux célestes. Pourtant, leur dit-on, il faut, — la théorie veut, — que la culture augmente la pluie. Ils répondirent simplement qu’ils ignoraient ce que pouvait bien vouloir ou ne pas vouloir la théorie dont ils n’avaient cure, et poussèrent le cynisme jusqu’à déclarer que, si réellement l’augmentation de culture devait accroître le régime des pluies « quelque part, » cela leur était profondément indifférent, du moment où la pluie ne tombait pas sur leurs propres récoltes : l’idée que leurs efforts enrichissaient leurs compatriotes de l’Est, en leur procurant des pluies plus abondantes, ne contribuait en rien à diminuer leurs soucis.

  1. Voyez Rainfall on the Plains, par M. St. O. Henry. (Popular Science Manthly, février 1890.)