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Décidément, la situation était intolérable, et le mécontentement allait grandissant sans qu’on vît jour à l’apaiser. Jadis, au temps où l’homme avait avec le singe plus d’affinités encore qu’il n’en a aujourd’hui, à l’époque de la jeunesse de l’humanité, où chacun vivait « selon la nature, » c’est-à-dire comme les bêtes, pour dire les choses comme elles sont, et où tout le souci de la vie se concentrait sur l’art de satisfaire avec le moins de peine les besoins les plus élémentaires du corps, il existait, dans la plupart des tribus ou hordes errantes, des personnages qui avaient réussi à prendre sur leurs compagnons un ascendant marqué. C’étaient les sorciers, ancêtres directs des savans et des médecins modernes. Ils avaient, — étant d’esprit plus fin, — réussi à se faire attribuer des puissances spéciales ; ils avaient à tant de reprises déclaré posséder des connaissances redoutables que le vulgum pecus y avait cru. Ces sorciers étaient surtout psychologues ; ils avaient reconnu que rien ne force plus le respect et la crainte des autres que de sembler croire en soi-même. Parmi eux, certains prétendaient à volonté déchaîner les eaux du ciel, ou les arrêter, il n’est point de mythologie où le dieu, ou les dieux, de la pluie fassent défaut ; il est peu de races sauvages, — vivant le plus souvent de légumes et de fruits, — où manquent les sorciers « fabricans de pluie.» On les trouve encore en Afrique, et c’est généralement au moyen d’un sifflet qu’opère le sorcier : à son appel la pluie accourt. Elle accourt plus ou moins vite d’ailleurs ; mais l’homme primitif a peu d’esprit critique : il ne s’arrête pas à considérer les détails ; la pluie vient tôt ou tard. Au surplus, le sorcier, s’il sait son métier, et s’il a quelque dose d’observation, saura ne pas siffler hors de saison, si la pluie n’est point vraisemblable, il gagnera du temps en inventant des prétextes quelconques : il boudera, il invoquera le mécontentement de la divinité, il demandera des privilèges, des cadeaux, et ne sifflera qu’à bon escient, quand la pluie lui semblera proche. Et si elle ne vient pas de suite, il saura trouver des raisons.

Les fabricans de pluie existaient dans l’Amérique du Nord, où le serpent à sonnettes passait pour le dieu des eaux célestes ; ils existent encore en Nouvelle-Calédonie. « Que diable fais-tu dans cet accoutrement ? demanda un voyageur à un sauvage couvert de fleurs et lançant des flèches au soleil. — Je travaille la pluie, fit le chef avec onction… sécheresse pas bon pour ignames… pluie tomber avant deux soleils… parce que Boumaza veut. » En Chine, c’est aux génies, aux âmes des morts que l’on s’adresse, et aussi à l’empereur, — au gouvernement, selon l’usage antique, cher aux nations qui se disent civilisées. Aux Indes, on va quérir le gapogari. Ce gapogari est un homme comme