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défaire dans leur vieillesse ce qu’ils avaient fait dans leur jeune âge. Tant qu’ils peuvent compter sur les complaisances de leur souverain et qu’il leur permet d’user et d’abuser de son autorité pour consolider leur puissance, ils font respecter ses droits des grands et du peuple, ils en sont des gardiens plus jaloux que leur maître lui-même. Mais du jour où ils ont perdu sa faveur, il a perdu tous ses titres à leur respect, et ils travaillent avec acharnement à renverser leur idole. Dans son beau temps, Wallenstein, ce grand impérialiste qui voulait convertir l’oligarchie allemande en monarchie absolue, déclarait qu’il n’y avait pas d’autre loi respectable que la volonté de son empereur. À peine Ferdinand parut-il se refroidir pour lui, il n’eut plus d’autre pensée que de se prémunir contre son inconstance. Le rêve qu’il caressa avec le plus d’amour fut de se faire donner un duché composé du Bas-Palatinat, de Baden-Durlach et du Wurtemberg, auquel serait attaché le titre d’électeur. Il se flattait que les princes s’accorderaient à le lui octroyer, et dès lors leurs droits lui parurent fort respectables. Dans ses négociations avec les électeurs de Saxe et de Brandebourg, il s’engageait à combattre les desseins secrets de la cour de Vienne, les changemens qu’elle voulait apporter dans la constitution de l’empire, ses entreprises sur les libertés publiques, ogni mutazione que potesse fare la corte, et il leur promettait que cette même épée, qui avait défendu l’empereur contre les princes, s’emploierait à défendre les princes contre l’empereur.

Faut-il parler des contradictions du prince de Bismarck ? Depuis longtemps elles n’étonnent plus personne. Si elles ne lui coûtaient guère lorsqu’il était au pouvoir, elles lui coûtent moins encore depuis que sa grande, sa seule affaire est de se venger d’un ingrat et de lui faire passer des nuits sans sommeil. Celui qui parlait avec tant de mépris « du vil bétail de la presse allemande » s’est fait journaliste, et personne n’en a été surpris. Celui qui traitait les progressistes les plus modérés d’ennemis de l’empire vient de prouver, dans sa tournée triomphale à travers l’Allemagne, qu’il peut être, quand il lui plaît, un tribun sans scrupules, le plus redoutable des agitateurs. Quel étrange discours ne prononçait-il pas naguère à Iéna ! Il a déclaré « qu’il fallait substituer la politique nationale à la politique dynastique ; » il avait toujours dit que ces deux politiques n’en faisaient qu’une. Ce grand défenseur du trône, ce grand contempteur des parlemens a déclaré aussi « qu’il serait dangereux de laisser se créer au centre de l’Europe un pouvoir absolu. » Il a passé condamnation, il a battu sa coulpe, il s’est accusé lui-même « d’avoir fortifié les prérogatives de la couronne contre les empiétemens de la représentation nationale ; » il s’est plaint d’avoir trop réussi. Tous ceux qui l’ont entendu ont pu croire qu’il s’appliquerait désormais à détruire son ouvrage,