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là est le vice profond du système belge qui, refusant aux citoyens lésés la garantie du recours pour excès de pouvoir, les livre, en somme, désarmés à l’arbitraire des bureaux. Cependant une des grandes commissions de l’assemblée, la commission dite de décentralisation, inclinait dans le même temps vers ces nouveautés. Elle prêtait l’oreille aux théories d’un revenant de la Constituante de 1848, le respectable et chimérique M. Raudot, lequel était arrivé à Versailles, la tête pleine de plans de réforme, comme s’il eût reçu de ses électeurs le mandat de tout changer. Dès le 29 avril 1871, c’est-à-dire en pleine anarchie, M. Raudot avait jugé opportun de proposer une loi qui, d’un trait de plume, supprimait les préfets, les conseils de préfecture, et transférait tout le contentieux de l’administration aux juges civils. Peu s’en fallait que M. Raudot ne rendît le conseil d’État lui-même responsable de nos malheurs : « Il y a, disait-il ingénument, un certain nombre d’institutions qui font la décadence de ce pays-ci, et, pour moi, la centralisation excessive dont le conseil d’État est la forteresse, est une des causes de notre décadence,.. » La commission de décentralisation, sans aller si loin se prononçait pour l’abolition des conseils de préfecture. Son rapporteur, M. Amédée Lefèvre-Pontalis, déposa, dans ce sens, un rapport et un projet de loi. Projet et rapport demeurèrent sans écho. Le fait est que, en 1872 comme en 1849, les monarchistes et les républicains étaient d’accord pour maintenir la juridiction administrative et le conseil d’État. Il n’y eut guère de dissentiment que sur un point, le mode de nomination des conseillers.

Le gouvernement, dans le projet de loi, se réservait cette nomination. L’assemblée se l’attribua. Il n’y avait là nulle raison de principe. Infatuée de son omnipotence et déjà en conflit plus ou moins latent avec M. Thiers, la majorité monarchiste entendait composer le futur conseil à son image :


… parvam Trojam simulataque magnis
Pergama…


On se défiait de M. Thiers. Là était le vrai motif, et je me souviens qu’il me fut révélé, dans une boutade significative, par l’un de ces enfans terribles de la droite que l’on appelait les chevau-légers. Je lui demandais pourquoi ses amis tenaient si fort à se rendre maîtres des nominations au conseil d’État : « Il le faut bien, répondait-il, Thiers y mettrait des pétroleurs ! » Aussi les choix de l’assemblée nationale eurent-ils une couleur politique, même religieuse, assez marquée. Faute capitale ! On préparait, on provoquait une revanche du parti républicain