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De là, sans doute, le parti adopté par la commission que la chambre avait chargée d’examiner le projet de M. Fallières, et à qui la proposition de M. Ricard venait d’être renvoyée. La commission, au demeurant, n’avait reçu qu’un mandat restreint. On l’avait nommée pour élaborer une mesure d’organisation partielle qui n’allait pas au fond des choses, ou du moins n’en avait pas l’air, et soudain elle se voyait en face d’un projet d’ensemble qui bouleversait l’ordre des juridictions. Il s’agissait de défaire l’œuvre de la loi de l’an VIII, éprouvée et comme consacrée durant près d’un siècle par un usage ininterrompu. Enfin il s’agissait de trouver la formule qui opérerait ce miracle d’assurer l’intervention législative du conseil en réservant l’entière liberté du législateur. En pareil cas, neuf fois sur dix, les commissions se dérobent devant l’obstacle. Quand il y a beaucoup à changer, volontiers on décide que l’on ne changera rien ou presque rien. Pourquoi ce qui existe n’existerait-il pas encore quelque temps ? Et l’on se tire d’embarras par une de ces combinaisons faciles qui doivent arranger tout. La commission se disait : En somme, que veut-on ? Hâter l’expédition des affaires contentieuses. Voilà l’objet pressant ; bornons là notre effort ! Pour le reste, on verra plus tard. — De cet état d’esprit devait naître un troisième projet, qui fut suggéré à la commission par un de ses membres les plus compétens, M. Camille Krantz[1].

Le système de M. Camille Krantz a ce grand mérite de procurer le remède par des moyens très simples, en touchant le moins possible au régime établi. En effet, il conserve intacte la section de législation, et il laisse, comme par le passé, les pouvoirs publics entièrement libres soit de recourir au conseil pour la préparation des lois, soit, au contraire, de s’en abstenir. D’autre part, il se garde de créer une deuxième section du contentieux. Il en maintient une seule, mais la dédouble en deux comités qui se partagent le travail. Son idée dominante est qu’on ferait aussi bien en étant moins nombreux. À quoi bon dix personnes, où cinq pourraient suffire ? Que les cinq autres délibèrent de leur côté, et voilà dans le même temps, avec le même personnel, deux fois autant d’affaires expédiées. La formation de ces comités constitue la partie principale et originale du projet[2]. Ajoutez que M. Krantz, lui aussi,

  1. C’était plutôt un avant-projet, destiné à la commission. La chambre n’en a été régulièrement saisie que lorsqu’il est devenu, après changemens, le projet de la commission.
  2. J’ai indiqué dans la première partie de cette étude (voyez la Revue du 15 août, p. 793, une disposition analogue de l’ordonnance du 29 juin 1814). L’article 9, § 5, de cette ordonnance autorisait la division du « comité contentieux » en deux « bureaux.» La même disposition se retrouve dans l’ordonnance du 26 août 1824 : l’article 30 divisait le comité du contentieux en deux sections.