Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 113.djvu/322

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

novateurs qui voudraient renvoyer en bloc le contentieux administratif aux juges ordinaires ont-ils songé à la tâche écrasante qu’ils imposeraient à ces magistrats ? Ont-ils songé qu’il y a là toute une doctrine, toute une jurisprudence, où l’étude du droit civil sert, au fond, bien peu ? Quoi ! vous allez demander à un même juge, à un même homme, d’unir à la science profonde du droit privé, — suffisante pour occuper une vie, — la connaissance des innombrables textes, disséminés et hétérogènes, qui composent notre droit administratif ? Car ce droit-là n’est pas, comme la législation civile et criminelle, codifié en un corpus méthodique dont tous les élémens sont coordonnés. La jurisprudence administrative est un monde à part. Il suffit de parcourir les deux volumes du Traité de M. Laferrière pour reconnaître à quel point ce vaste contentieux est distinct et séparé du contentieux civil. Mais supposons qu’un même juge puisse réunir en soi cette double science juridique, aurait-il la façon de voir les choses, le procédé et le tour d’esprit du juge administratif, lequel, pour l’ordinaire, est sorti de l’administration active, y peut rentrer d’un jour à l’autre, et continue de vivre avec elle dans une perpétuelle communication ? « Pour moi, me disait à ce propos un conseiller d’État qui connaît son métier, le droit administratif, c’est moins une science qu’un état de l’esprit, » et, sous la forme d’un paradoxe, il disait là une vérité.


VI.

J’arrive à la deuxième question, la participation du conseil à la confection des lois.

Ici le projet de la commission ne propose rien. C’est, je l’ai dit, le maintien pur et simple du statu quo. Le rapporteur se contente de rééditer une fois de plus les exhortations platoniques et les phrases stéréotypées, touchant les avantages que les pouvoirs publics ne manqueront pas de recueillir du concours éclairé de la section de législation. Mais ce concours, on se garde bien de le régler ; mais cette section, l’on ne fait rien pour en assurer le sort. Il paraît qu’un obstacle insurmontable s’y oppose : il faudrait réviser la loi constitutionnelle ! Cette affirmation fait honneur aux scrupules de légalité qui animent les membres de la commission ; cependant ne pourrait-on pas, en toute sûreté de conscience, proposer au moins un article de loi qui faciliterait, soit aux deux assemblées en séance publique, soit aux commissions parlementaires, te renvoi des projets à l’examen du conseil d’État ? Il suffirait peut-être d’insérer un paragraphe additionnel au règlement de la chambre. Il faut pourtant en venir là si l’on veut sincèrement que