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avant les élections, venait d’un autre coin de l’horizon. C’était la révolte du parti ouvrier.

Ce parti ne date pas d’hier. Même en France, tout le monde connaît de nom les trades-unions. Ces ligues ouvrières se sont étendues des métiers savans à ceux qui ne demandent que l’emploi des forces naturelles. Elles sont aujourd’hui un pouvoir reconnu dans la société et dans l’État. Plusieurs ouvriers ont siégé dans les parlemens de 1874, de 1880, de 1885 et de 1886. Je citerai deux hommes très respectables et très intelligens, M. Burt, bien connu des agitateurs continentaux, auxquels il a donné plus d’une fois des conseils de prudence, et M. Broadhurst, dont M. Gladstone avait fait, bravement, un sous-secrétaire d’État.

Les progrès du parti ouvrier (labour party) ont été mis en lumière, ce printemps dernier, par les élections au county council de Londres. Ces élections pour le gouvernement de la première ville du monde intéressent cinq millions d’habitans et mettent en mouvement un peuple de six cent mille électeurs. Modérés, progressistes : tels sont les noms que se donnent les deux partis. En réalité, c’est une lutte entre l’élément boutiquier et l’élément ouvrier. Quand on n’a pas l’un pour soi, coûte que coûte, il faut gagner l’autre. On ne doit donc pas s’étonner si les sommités libérales, qui s’étaient placées à la tête du mouvement, ont fait une large place, dans ce qu’on a appelé le programme de Londres, aux revendications des travailleurs. Des hommes comme lord Rosebery, le futur ministre des affaires étrangères de M. Gladstone, et sir Charles Russell, l’avocat le plus en vue du barreau anglais, se sont trouvés en coopération journalière, en sympathie apparente avec ceux qui réclament l’intervention de l’État dans l’organisation du travail, l’impôt progressif sur le revenu, et peut-être la nationalisation de la terre.

Ces doctrines, plus qu’à demi socialistes, trouvent des encouragemens dans la presse comme dans le parlement. Le Pall Mall Gazette leur sourit ainsi que le Truth. L’organe de la démocratie catholique, le Star, une feuille hiberno-américaine qui s’est rapidement acclimatée à Londres, met à leur service le langage qui touche les masses. Mais c’est le Daily Chronicle qui leur donne, ce me semble, leur expression la plus énergique, la plus habilement concentrée et la plus politique. La fortune de ce journal est notable. Il y a une quarantaine d’années qu’un ouvrier typographe mettait ses économies et son labeur dans une petite feuille hebdomadaire à laquelle il donnait son nom, et où l’honnête Douglas Jerrold apportait son talent de démocrate humoriste. De cet humble Lloyd’s News, devenu universel, est né le Daily Chronicle, l’autre nuit,