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la boutique, pesaient les denrées, palpaient l’étoffe des culottes et des pourpoints : « Toi, cultivateur, et toi, artisan, vous pourrez porter des chausses de vingt pence, du drap à douze pence le yard. Le yeoman, le boutiquier, iront jusqu’à dix-huit pence et pas un farthing de plus… Quoi ! tu n’es pas gentilhomme et tu portes fourrure ! Confisquée la fourrure du manant ! » Ces mêmes lois fixaient le nombre et la quotité des repas, l’heure du lever et du coucher, le prix et la durée de la journée de travail, suivant les métiers, les lieux, les saisons. L’oisif était un criminel : on le frappait de pénalités graduées. Il y eut même une loi atroce de 1535, qui frappait de mort le mendiant bien portant à la troisième récidive.

Je ne dis point de mal de ces lois. Avec les tempéramens qu’y apportait le sentiment chrétien, elles furent bonnes, je le crois, à retenir la société dans une longue et heureuse enfance, à retarder le progrès du luxe, à gêner ce développement sans mesure de la propriété mobilière qui nous inquiète aujourd’hui. Mais notre époque ne pourrait pas plus les supporter que nous ne pourrions, vous ou moi, endosser notre veste de première communion. Cependant la démocratie veut les faire revivre à son profit, les tourner contre les descendans de ceux qui les avaient faites, contre les porteurs de fourrures, contre les fainéans de bonne maison, contre le nomade et l’oisif riche de la vie moderne.

Pour commencer, elle demande que l’État porte atteinte à la liberté des contrats et fixe à huit heures la durée maxima de la journée de travail. Ce bill des huit heures est devenu la « plate-forme » du parti ouvrier. Par une tactique habile, on place les mineurs à l’avant-garde. En effet, le respect de la liberté individuelle s’efface devant une considération d’intérêt général et supérieur. L’État est tenu de limiter l’exercice des professions insalubres, comme il a le devoir, au nom de la morale et de la santé publiques, de réglementer le travail des femmes et des enfans. Les libéraux se défendent comme ils peuvent. Obligés d’accepter l’idée, ils essaient d’en restreindre l’application en s’arrêtant à un système mixte, provisoire, déjà employé il y a vingt ans en matière d’éducation, et qui consiste à laisser les autorités locales maîtresses d’observer la loi ou de l’ignorer, suivant les besoins et les opinions de la région. Les démocrates espèrent bien que, de concession en concession, on en viendra à tout céder, et que les métiers passeront, l’un après l’autre, par la brèche que les mineurs auront ouverte.

Qu’en pensait M. Gladstone ? Les délégués des trades-unions lui demandèrent, à la veille même des élections, une entrevue, en apparence pour l’interroger sur ses intentions, en réalité pour lui